Passons maintenant à une autre phrase parmi les 16 que six ONG, agissant en tant que plaignants, ont choisies à Paris pour attaquer Charles Onana et son éditeur Damien Serieyx comme négationnistes du génocide.
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« Dans son ouvrage consacré à la guerre d’octobre 1990, l’ancien officier des FAR, Pascal Simbikangwa condamné en France non pour la vérité mais pour l’exemple permettant de célébrer l’histoire officielle, livre ainsi son sentiment: « La guerre que nous allons vivre dans les pages qui viennent n’est pas une guerre, c’est une connerie, c’est une connerie, dis-je, car elle manque de sens, elle n’a pas de départ et n’a nullement de fin car elle s’est faite dans les têtes et ne se terminera jamais tant que nous ne serons pas tous devenus des monstres. Ce qui demande un travail d’éducation de longue haleine. » (page 437 de Rwanda, la vérité sur l'opération Turquoise, 2019)
La partie de la phrase en question « non pour la vérité, mais pour l'exemple » fait référence à un livre de 2019 écrit par l'avocat français de la défense de Pascal Simbikangwa[i], Fabrice Epstein, Un génocide pour l'exemple, qui interroge la procédure régulière autour de ce premier procès d'un Rwandais accusé de génocide tenu devant un tribunal français.
Dans un article précédent, nous soulignions que la loi française de 2017 qui condamne la négation du génocide, selon le chercheur de l'Université de Reims Champagne-Ardenne Thomas Hochmann, ne couvre pas les opinions sur des procès spécifiques, selon ses mots lors du procès Onana à Paris : « Elle n'interdit pas de contester le contenu précis d'une décision de justice. » La première partie de la phrase d'Onana en question cite l'avocat de l'accusé Simbikangwa et son opinion sur ce procès spécifique.
Dans son livre, Un génocide pour l'exemple, l'ancien secrétaire de la conférence des avocats du barreau de Paris et avocat de Simbikangwa revient sur les coulisses du procès : « L'accusé avait-il le droit d'accéder à son dossier ? Tous les témoins étaient-ils crédibles ? Les magistrats ont-ils mené les débats de manière impartiale ? La défense avait-elle les mêmes droits que l'accusation ? Le tribunal a-t-il eu la possibilité de reconstituer les faits sur les lieux du crime ? »
Epstein critiquait déjà la mise en place judiciaire en France sur ce cas en déclarant en 2014 : « On a l'impression que c'est le 20e anniversaire du génocide des Tutsis et que Pascal Simbikangwa doit donc être condamné parce qu'il est le premier à être traduit devant un tribunal correctionnel et donc qu'il faut en faire un exemple. »
Epstein souligne dans un article de Jeune Afrique de 2016 la difficulté de tenir ce procès pour la défense qui n'avait pas les moyens financiers de mener des recherches sérieuses et pas du tout au Rwanda.
Cependant, le sujet de la phrase d’Onana qui nous intéresse ouvre un sous chapitre dont le sujet est la réaction de l’Armée nationale rwandaise (FAR) à l’invasion du 1er octobre 1990 par le Front Patriotique Rwandais (FPR).
Le sous chapitre qui précède celui-ci examine des documents d’archives qui tous souligne le renforcement militaire du FPR sur le terrain, malgré l’embargo imposé aux deux camps du conflit dans le cadre du processus de paix d’Arusha.
Les sources citées par Onana sont pour la plupart des câbles diplomatiques de l’époque qui évoquent tous le renforcement militaire du FPR, allant de personnalités faisant autorité comme le personnel de haut rang de la MINUAR Roméo Dallaire, Luc Marshal ou Jacques Robert Booh Booh ; le personnel belge de la MINOUR (Mission d’observation des Nations Unies pour l’Ouganda et le Rwanda ) qui surveillait la frontière Ouganda-rwandaise depuis Juin 1993 ; le lieutenant Nees, officier de renseignement Belge de la MINAUR ; l’ancien officier du FPR Abdul Ruzibiza ; l’expert du procureur du TPIR André Guichaoua ; le capitaine Amadou Deme, officier du renseignement militaire de la MINUAR.
Le lieutenant Nees écrit dans un câble de février 1994 : « selon des sources bien informées, le FPR a employé 10 à 20 militaires dans chaque secteur rwandais, atteignant environ 1 500. »
Onana cite le lieutenant-colonel belge Bem Anthierens, qui a passé trois ans à l’époque au Rwanda , qui parle d’une guerre oubliée de 30 mois, qui a commencé en octobre 1990, un tournant clé dans la compréhension de l’histoire récente du Rwanda.
Il est d’autant plus important de souligner l’aspect militaire et les conséquences émotionnellement déstabilisatrices de cet événement au Rwanda que, lors du procès Onana à Paris, les plaignants ont nié cette première tentative de changement de régime de la part du FPR. Par exemple, le témoin des plaignants, l’avocat Bernard Maingain, a qualifié l’invasion d’octobre 1990 de « fausse tentative de coup d’État ». C’est précisément cette édulcoration des actions du FPR par les apologistes pro-Kagame que conteste Onana, car non seulement elle falsifie l’histoire, mais elle occulte également une appréciation objective des schémas de violence sur le terrain au Rwanda à l’époque. Des milliers de personnes ont été arrêtées dans les jours qui ont suivi l’invasion, mais ont été libérées par la suite. Si le tentative de coup d’État est occulté dans le récit, la répression n’est pas appréciée pour ce qu’elle était : arrêter et contrer un essai de changement de régime.
La deuxième partie de la phrase est une citation directe du livre de Pascal Simbikangwa sur la guerre d’octobre 1990 : La guerre d’Octobre. Ce livre est un document intéressant car il a été écrit en décembre 1991, alors que la premier partie de la guerre n’était pas encore terminée, et non seulement il détaille les événements militaires, mais il décrit également les conséquences psychologiques de l’invasion d’octobre 1990 sur la population rwandaise en général. Simbikangwa définit sa perspective comme celle d’un « soldat rwandais, un soldat de réserve ! ». Ayant eu un accident à la fin des années 80, il était confiné dans un fauteuil roulant.
Immédiatement après avoir cité le point de vue de Simbikangwa, Onana le compare à celui d’un soldat tutsi du FPR, Benjamin Rutabana, et cite des phrases de son livre De l’enfer à l’enfer : Du Hutu Power à la dictature de Kagame, paru en 2014.
En énumérant les griefs des deux camps, Onana donne au lecteur une image plus claire de ce qui a motivé psychologiquement la guerre.
Si nous lisons la source citée dans la phrase en question, La guerre d’Octobre, nous voyons que tout comme Simbikangwa critique les politiques anti-Tutsi au lendemain de la révolution sociale de 1959, il critique également le système monarchique féodal, encore frais dans les mémoires de nombreux Rwandais à l’époque, qui était dirigé par une minorité Tutsie. Il donne un aperçu de certains de ces souvenirs qui reflètent un système de type apartheid sous la monarchie Tutsi : les Hutus n’étaient par exemple pas autorisés à marcher sur les routes principales ou seulement lorsqu’ils transportaient leurs dirigeants Tutsi. Reconnaître mutuellement cette cruauté est selon Simbikangwa une manière efficace de surmonter les divisions. La dimension politique de ce que représentait cette ethnocratie, la monarchie féodale, renversée par la révolution sociale de 1959, ne peut être réduite à un conflit entre Hutus et Tutsis en général, car elle reflétait un système politique où une petite minorité à majorité tutsie régnait sur la population majoritaire hutue, de manière souvent brutale.
La phrase qui précède celle citée par Onana dit : « Mais ne vous y trompez pas, la majorité ne vit que lorsqu’elle respecte la minorité ». Simbikangwa appelle ainsi à un Rwanda qui embrasse sa multiethnicité. Le livre regorge d’exemples de trois groupes ethniques rwandais, Tutsi, Hutu et Twa, vivant ensemble en harmonie. Les politiques anti-Tutsi au lendemain de la révolution sociale de 1959 sont des politiques de discrimination blessantes qui, selon lui, ont été largement surmontées sous le régime de Habyarimana.
C’est la « domination d’un groupe » que conteste Simbikangwa. 17 ans après la publication de La Guerre d’Octobre, un câble Wikileaks de 2008 intitulé Ethnicity in Rwanda, who governors the country? (L’ethnicité au Rwanda, qui gouverne le pays ?) pointe du doigt un groupe dominant de Tutsis ougandais qui dirige le gouvernement, et aucun mécanisme efficace de partage du pouvoir en place dans le pays.
Simbikangwa écrit : « Un homme ne tue pas, il empêche que cela se fasse. » Il considère cette guerre comme une absurdité, « une connerie », comme il considère toutes les guerres inutiles : « La prochaine étape de l’évolution humaine devrait nous aider à éviter des tragédies inutiles. »
Simbikangwa ajoute également en annexe de son livre un document intéressant, une lettre ouverte, Des Expatriés témoignent, une colère de temps de guerre, signée le 16 octobre 1990 par 115 expatriés vivant au Rwanda qui déplorent la couverture médiatique mondiale de la guerre : « Les analyses menées en Occident devraient être plus détaillées qu’à présent et en aucun cas ne pas discréditer le gouvernement rwandais lorsqu’il refuse de ramener des personnes armées au Rwanda. »
Les expatriés dans leur lettre, ainsi que Simbikangwa, mentionnent comment le problème des réfugiés étais en train d’être résolu et ne devrait pas être utilisé comme excuse pour des actes d’agression de la part du FPR.
Selon les mots des expatriés : « Malgré la gravité des événements récents, le président de la République rwandaise a de nouveau invité les réfugiés dans son message à la nation du 15 octobre 1990 à participer à l’œuvre de réforme de la vie politique rwandaise. Homme de paix, il préfère la négociation et la discussion au bruit des bottes. (…) L’espoir vient du fait qu’à aucun moment il n’y a eu de pogrom, de tentative de liquidation systématique des Tutsis, bien que l’agresseur soit plus proche de cette ethnie. »
La phrase de Onana en question couvre une période bien antérieure à 1994 et ne peut donc pas être considérée comme un exemple de négation du génocide.
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