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Writer's pictureNicoletta Fagiolo

Procès Charles Onana, la Caractérisation hâtive des événements




Passons maintenant à deux autres phrases parmi les 16 que les plaignants ont choisies pour attaquer Charles Onana et son éditeur Damien Serieyx, les traitant de négationnistes du génocide, dans le procès de Paris.

 

Les autres articles de cette série sont à retrouver ici.

 

Phrases 2 « Ceci démontre, s’il en était encore besoin, que la thèse conspirationniste d’un régime Hutu ayant planifié un « génocide » au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle. » (page 198 de  Rwanda, la vérité sur l'opération Turquoise, 2019)

 

Ici, les plaignants sortent la phrase de son contexte et ne citent pas la portée du chapitre, ni le paragraphe précédent auquel fait référence le premier mot dans la phase Ceci. Dans cette sous-section d'un chapitre sur le contexte historique de l'opération humanitaire française, intitulé Le contexte international avant le déploiement de l'opération Turquoise, Onana examine comment, quand et par qui le terme de génocide a été introduit au Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) et adopté dans ses documents officiels.

 

Dans cette sous-section, Charles Onana souligne à deux reprises qu'il ne nie pas qu'un génocide des Tutsis ait eu lieu (pages 191 et 194), mais qu’il analyse seulement comment cette qualification spécifique des massacres a été adoptée au sein de ce forum international.

 

Onana affirme que dès le 12 avril, soit six jours après le début des massacres, le porte-parole du Front Patriotique Rwandais (FPR) à l'ONU, Claude Dusaidi, a envoyé un communiqué à tous les membres du Conseil de sécurité, qui soulignait déjà,   « un génocide systématique commis contre les Tutsis et les Hutus de l’opposition. » 

 

Le 27 avril 1994, l'ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies, Madeleine Albright, informe Washington que la République Tchèque et l'Argentine travaillent sur une résolution sur le génocide, précisant que ce qui se passe au Rwanda peut être qualifié de génocide selon la convention de Genève de 1948. Ainsi, malgré qu’aucune enquête ou investigation internationale qui pourrait corroborer ces massacres comme un génocide, Albright pousse déjà à l’adoption de cette qualification. Pourtant, d’autres membres du Conseil de sécurité de l’ONU, tels la France, le Nigeria et la Chine, ont hésité à aboutir à une telle conclusion sans enquête préalable, soulignant à la fois les dimensions ethniques et politiques, et d'autres rapports de force sur le terrain.

 

Par ailleurs, le FPR affirmait dès le 30 avril 1994 dans une lettre adressée au Conseil de sécurité de l'ONU qu'il disposait de preuves solides que le régime Habyarimana avait planifié une extermination systématique des Tutsis. Le FPR avait également affirmé à l'époque que ces massacres auraient eu lieu même si le Président n'avait pas été tué, pendant la période de transition prévue par les accords d’Arusha.

 

Cependant, cette preuve d'un plan méticuleux visant à tuer les Tutsis n'a pas été fournie par le FPR au Tribunal d'Arusha quand celui-ci est devenu opérationnel un an plus tard, bien que le FPR prétendît avoir des preuves depuis avril 1994.

 

Ici Onana fait référence à l'utilisation du mot génocide de la part du FPR à un moment précis où la qualification du crime ne pouvait pas encore être connue (d'où aussi le terme de génocide entre guillemets, car il fait référence à une formulation du FPR des événements). L’escroquerie à laquelle fait référence Onana dans cette phrase n’est pas le génocide en soi, mais la prétention du FPR de détenir des preuves solides d’un plan d’extermination de la population Tutsie de la part du gouvernement Habyarimana dès le 30 avril 1994.

 

La phrase 3 est tirée du même sous-chapitre et concerne également la caractérisation hâtive des massacres à cette époque.   « Autrement dit, pour ne pas avoir à s’exposer à la moindre réflexion ou à des questions embarrassantes, les États-Unis valident ainsi, sans la moindre réserve, et très officiellement la demande pressante du FPR de retenir le mot « génocide » ou de qualifier comme tel les massacres du Rwanda. Ce terme est donc retenu sans examen ni enquête préalable. Sa validation ne sera jamais soumise à l’avis des magistrats professionnels ni à la consultation d’une quelconque juridiction internationale. C’est la volonté du FPR et la décision d’un secrétaire d’État américain qui ont conduit à parler de « génocide » au sein des Nations Unies et principalement au Conseil de sécurité. » (page 190 de  Rwanda, la vérité sur l'opération Turquoise, 2019)

 

Onana fait ici référence à un mémorandum du chef d'une unité de renseignement du département d'Etat (le Bureau of Intelligence and Research, INR), Toby Gati, qui a rédigé le 18 mai 1994 un mémorandum de trois pages adressées au Secrétaire d'état aux affaires africaines, George Moose. Dans le mémorandum Gati accuse le gouvernement rwandais de l'époque de « meurtres généralisés et systématiques de Tutsis de souche », en violation de la Convention de Genève de 1948 pour la prévention du génocide, et souligne également que le FPR « ne semble pas avoir violé la Convention de Genève qui définit les actes de génocide. »

 

Trois jours plus tard, le 21 mai 1994, le Secrétaire d'état aux affaires africaines, George Moose, autorisait ses subordonnés à utiliser la formule « des actes de génocide ont eu lieu » au Rwanda.

 

Cependant, dans un rapport du 19 mai 1994 sur sa mission au Rwanda le 11 et 12 mai 1994 le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, José Ayala Lasso,écrit que la situation au Rwanda est une « tragédie des droits de l'homme » et appelle les deux parties à accepter un cessez-le-feu : « Dans mes conversations avec les commandants militaires des deux camps, j’ai clairement exprimé la condamnation par l’ensemble de la communauté internationale des violations massives et extrêmement graves des droits de l’homme commises par tous ceux qui participent au conflit. »  Il a également souligné que « lourdement armés, ceux qui tiennent les barrages routiers ne peuvent en aucun cas être fiables pour suivre les ordres ou instructions qui leur sont donnés par les commandants des Forces armées rwandaises ». L'armée nationale rwandaise avait ainsi perdu le contrôle des éléments rebelles.

 

Mai 1994 est donc très tôt pour retenir la qualification de génocide des Tutsis comme l’ont fait les États Unies, dans la mesure où aucune enquête approfondie n'avait effectivement encore été entreprise dans le pays. Le rapporteur spécial de l'ONU de la commission des droits de l'homme au Rwanda, René Degni-Ségui, écrivait dans son rapport Situation des droits de l'homme au Rwanda du 2 novembre 1995 : « Bien que l'existence du génocide ait été confirmée, il y a un retard considérable dans la conduite de l'enquête. »

 

Degni-Ségui déplore le déploiement tardif des observateurs pour des raisons de sécurité, mais souligne que « c'est à la fin du conflit armé que le déploiement des observateurs a été envisagé » . Il ajoute :  « Le retard dans le déploiement des observateurs est d'autant plus regrettable au vu de l’insécurité qui devient de plus en plus apparente au Rwanda. »

 

 Il précise également que les deux premiers rapports précédents ont été réalisés sans enquête : « Les deux premiers rapports ont été préparés sur la base de documents et de témoignages fournis par des responsables d'organisations intergouvernementales et non gouvernementales, ainsi que par quelques survivants des massacres. »

 

Degni-Ségui écrit également : « Des massacres auraient eu lieu dans diverses régions du pays, et particulièrement dans le sud. Aux charniers dont l'APR (l’Armée Patriotique Rwandaise, l’aile militaire du RPR) est responsable s'ajoutent donc tous ceux dont sont responsables les milices et les Forces armées rwandaises, de sorte qu'il est désormais difficile de les distinguer. Des enquêtes sont en cours pour clarifier la situation et déterminer les responsabilités. » (C’est nous qui soulignons)


Onana souligne aussi que l’ancien ministre français de la Coopération Bernard Debré a écrit en 1997 Le retour du Mwami : la vraie histoire des génocides rwandais : « deux génocides ont été commis, mais la première puissance mondiale a voulu qu’un seul soit reconnu, parce que c’était dans son intérêt. »


D’autres chercheurs ont également déploré la qualification trop hâtive des massacres de masse comme un génocide des Tutsis, sans enquête préalable à l’époque. Par exemple John Laughland, maître de conférence en sciences politiques, philosophie politique et histoire à l’Institut catholique de Vendée et directeur du Forum pour la démocratie internationale. Dans A History of Political Trials: From Charles I to Charles Taylor aborde cette question dans le chapitre intitulé Jean Kambanda, condamné sans procès, où il souligne : « la Commission d'experts qui a fait rapport au Secrétaire général de l'ONU en 1994, et dont le rapport a servi de base à la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), a déclaré qu'il y avait des preuves accablantes qu'un génocide avait été commis contre les Tutsis, mais aucune pour le génocide contre les Hutus. Ainsi, une partie a été déclarée coupable des accusations portées contre elle avant même la création du tribunal, et cette proclamation de culpabilité est devenue l’un des documents fondateurs du tribunal. » [1]

 

Laughland qualifie le TPIR d’exemple de justice des vainqueurs, dans la mesure où une procédure régulière aurait dû exiger l’ouverture préalable d’une enquête, avant de décider qui est le plus responsable de la rupture de la paix et de la commission de crimes dans une situation donnée.

 

On peut également citer le chercheur Alexander Zahra, professeur de droit international à l'Université de sciences politiques de la Southwest University, qui a considéré la littérature scientifique existante en 2003 sur le drame du Rwanda comme une recherche historique médiocre et simpliste : dans une revue de 2003 des publications en langue anglaise sur le génocide rwandais, Zahar signalait des travaux tels que Nous souhaitons vous informer que demain nous serons tués avec nos familles de Philip Goureveitch, Leave None to Tell the Story d'Alison Des Forges et Mahmood Mamdani Quand les victimes deviennent des tueurs, le colonialisme, le nativisme et le génocide au Rwanda, Zahar qualifie leurs récits de « naïfs, tendancieux et dérivés, écrits dans un style critique ou didactique étranger aux efforts académiques ». Zahar explique comment ces auteurs ont tendance à « réduire la défense nationale à une conspiration criminelle, les désaccords politiques à des tensions  tribales , et une guerre impliquant des forces régulières et irrégulières à un génocide ».[2]

 

Au cours du procès d’Onana, l’avocat des plaignants, maître Richard Gisagara, contre-interrogeant le commandant de la MINUAR, Luc Marchal, lui demandant d'aborder ce qu'il pense des informations alarmantes qu’il avait reçues à l’époque par l’intermédiaire d’un informateur dénommé Jean Pierre, et qu’il avait rapportées concernant le génocide à venir. Le colonel Luc Marchal a répondu en rappelant à l'avocat Gisagara que l'informateur, Jean Pierre, s'est avéré être un agent du FPR, et que cela a été révélé par sa veuve lors d'une audience au tribunal d'Arusha.

 

Ainsi, l’un des rares exemples avancés par les plaignants comme preuve pouvant être corroborée au procès de Charles Onana, à savoir que le génocide avait été planifié longtemps à l’avance, s’est effondré au cours de ce procès. Pire, par la suite, un autre témoin de la partie civile, Me Bernard Maingain, ignorant que cet informateur avait été démasqué dès le premier jour du procès, a évoqué ce même informateur de la MINUAR, Jean Pierre, comme preuve d'un génocide planifié, lors de sa déposition.

 

Nous avons également appris au procès d'Onana du militant des droits de l'homme et ancien coordonnateur du Centre de lutte contre l'impunité et l'injustice, Joseph Matata, que l’équipe des dix experts de quatre ONG, dont la FIDH et HRW, qui a écrit le rapport de 1993, rapport souvent cité comme ayant déjà mis en garde contre une explosion de violence imminente, n'a passé que deux heures dans la zone contrôlée par le FPR, alors qu'il se trouvait au Rwanda. Par conséquent, il est impossible dans ces conditions d'établir et de caractériser les violations des droits de l'homme commises dans cette région avec rigueur.


Analyser quand la formulation de l'expression génocide contre les Tutsis a été retenue au Conseil de Sécurité de l’ONU et souligner qu’elle a été introduite à l’époque sans une enquête approfondie, avant l’ouverture du tribunal d’Arusha, ne devrait pas être considéré comme un exemple de négation du génocide. C'est pourtant ce qui a été fait par les associations qui poursuivent monsieur Onana.

 







Notes :


[1] John Laughland , A History of Political Trials: From Charles I to Charles Taylor, Peter Lang, Oxford, 2008. p.211

 

[2] Alexander Zahar and Susan Rohol, The United Nations International Criminal Tribunal for Rwanda in Genocide at the Millenium, Samuel Totten editor, 2005. p 221

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