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Nécro-exploitation minière en RDC, l'envers de la révolution numérique et verte

Updated: Apr 22


Nicoletta Fagiolo, 17 Avril 2023 pour RESET en Anglais ici

Traduit de l'Anglais par Sergio Samba Eboma



"Le Congo a toujours constitué un exemple type de l'équation mort-ressources que l'historien et politologue Achille Mbembe appelle la nécropolitique", écrit le professeur d'anthropologie et de sociologie Jeffrey W. Mantz dans un article de 2008 intitulé "Blood Diamonds of the Digital Age : Coltan and the Eastern Congo." Achille Mbembe, qui a inventé le terme dans un article de 2003, ainsi que dans son livre Politiques de l’inimitié (2016), décrit le néologisme comme "formes uniques et nouvelles d’existence sociale, dans lesquelles de nombreuses populations sont soumises à des conditions d’existence leur conférant le statut de morts-vivants " ou "le pouvoir de fabriquer une foule entière de personnes qui vivent spécifiquement à la limite de la vie, ou même à sa limite extérieure - des personnes pour qui vivre signifie se dresser continuellement contre la mort."


Un examen attentif de la manière dont sont extraits aujourd'hui, en République démocratique du Congo, les minerais essentiels au marché mondial croissant des appareils électroniques portables et des batteries rechargeables pour véhicules électriques, révèle une structure économique que l'on peut qualifier de nécro- exploitation minière.


Dans Cobalt Red : How the blood of the Congo powers our lives, publié en janvier de cette année, Siddharth Kara, activiste et expert en matière d'esclavage moderne et de travail des enfants, révèle le côté obscur de la révolution numérique et verte à travers des récits poignants de la vie des mineurs artisanaux, des creuseurs aux laveurs et aux transporteurs, dans la ceinture de cuivre de la République démocratique du Congo, dans les provinces du Katanga et du Lualaba. Claude, un mineur, raconte à Kara que la mine de Kasulo, un quartier de Kolwezi, "est un cimetière" ; d'autres disent : "Nous travaillons dans nos tombes" ; "si nous ne creusons pas, nous ne mangeons pas."


Souvent, les mineurs, qui creusent à mains nues et sans équipement de sécurité dans les galeries souterraines, sont blessés ou tués lorsque ces galeries s'effondrent. "Kasulo est aussi le visage de tout ce qui ne va pas dans l'économie mondiale. Ici, seule la ressource compte ; les gens et l'environnement sont jetables. Tous ceux qui creusent à Kasulo vivent dans la peur mortelle d'être enterrés vivants", écrit Kara.


Les ressources du Congo : à quel prix ?


Le cobalt, un métal argenté rare, est un composant essentiel de presque toutes les batteries rechargeables au lithium-ion fabriquées aujourd'hui - batteries utilisées pour les iPhones, les tablettes et les véhicules électriques.


La République démocratique du Congo possède les plus grandes réserves de cobalt au monde, estimées en 2022 à quelque quatre millions de tonnes métriques, soit près de la moitié des réserves mondiales de ce métal. En 2021, 72 % du cobalt extrait provenait de cette région du Congo. La région est surnommée "l'Arabie saoudite du cobalt" pour son cobalt de haute qualité.


Selon Kara, qui a récemment beaucoup voyagé dans la région, tout le cobalt provenant de la RDC est entaché de divers degrés d'abus, notamment l'esclavage, le travail des enfants, le travail forcé, la servitude pour dettes, la traite des êtres humains, les conditions de travail dangereuses et toxiques, les salaires dérisoires, les blessures et les décès, ainsi que les dommages incalculables causés à l'environnement. À l'heure actuelle, il n'y a aucune obligation de rendre des comptes à la base de cette chaîne d'approvisionnement.


La demande de ce minéral devrait augmenter considérablement car l'Union européenne envisage d'éliminer progressivement les nouveaux véhicules équipés de moteurs thermiques ou hybrides d'ici 2035, pour les remplacer par des véhicules électriques.


Dans un récent documentaire d'ARTE réalisé par Arnaud Zajtman et Quentin Noirfalisse, Cobalt, l'autre face du rêve électrique, on découvre les conditions de travail inhumaines des mineurs artisanaux et de leurs collègues dans les provinces du Katanga et du Lualaba, ainsi que la pollution extrême causée principalement par l'exploitation minière industrielle à grande échelle également présente dans la région. "Toute la région risque de devenir un scandale écologique et toxicologique", déclare dans le film, Célestin Banza, directeur du département de toxicologie et d'environnement de l'université de Lubumbashi.


Red Cobalt et Cobalt, the other side of the electric dream se concentrent sur le cobalt extrait dans une région du pays qui n'est pas en guerre, et ne couvrent donc pas les minéraux dits de conflit (étain, tantale, tungstène et or), qui sont extraits dans l'est du Congo, déchiré par la guerre, et qui sont tout aussi essentiels pour la révolution numérique et verte. Par exemple, dans un smartphone, l'étain est utilisé pour souder les composants métalliques, le tungstène se trouve dans les composants qui font vibrer le téléphone, l'or est utilisé dans les connecteurs des circuits imprimés et la colombo-tantalite, connue en Afrique sous le nom de coltan - un silicate dense à partir duquel on obtient le tantale - est essentielle pour la production de téléphones mobiles, de consoles de jeux vidéo et d'ordinateurs portables. En raison de sa densité, de sa capacité à retenir la chaleur et de sa résistance à l'usure, les ingénieurs industriels et d'autres acteurs du secteur de la fabrication électronique l'ont parfois qualifié de "Saint Graal" de l'électronique numérique.


Guerres internationales par procuration déguisées en guerres civiles


Bien que le Congo de Mobutu Sese Seko (1965-1997), alors connu sous le nom de Zaïre, ait été un régime dictatorial corrompu, l'industrie minière avait été nationalisée dans la région du Katanga et partiellement nationalisée dans l'Est sous son règne et constituait donc une source de revenus importante pour l'économie du pays. Les conditions de travail et les salaires des mineurs étaient bien meilleurs qu'aujourd'hui.


Historiquement, l'occupation rwandaise et ougandaise de l'est de la RDC par le biais de rébellions par procuration a commencé en 1996. Un conglomérat financier d'entreprises principalement canadiennes et américaines, connu sous le nom d'American Mineral Fields Inc (AMFI), a financé et armé une rébellion fictive connue sous le nom d'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL), qui a envahi le Zaïre. L'AFDL a été présentée au monde comme un mouvement de libération. En réalité, l'AFDL a été créée par le vice-président rwandais de l'époque, Paul Kagame, et le président ougandais, Yoweri Museveni, et a placé à sa tête un ancien rebelle congolais, Laurent-Désiré Kabila, pour lui donner une façade congolaise. Kabila lève à la hâte une armée composée principalement d'enfants soldats et de quelques mobutistes désabusés, mais ce sont surtout les armées ougandaise et rwandaise qui mèneront le combat. En l'espace de sept mois, elles parviennent à atteindre la capitale Kinshasa et à renverser Mobutu Sese Seko.


Colette Braeckman, dans un article publié en 2006 par la Ligue congolaise de lutte contre la corruption (LICOCO), appelle cette période "le troisième pillage" de l'histoire congolaise, à savoir le pillage de l'infrastructure même du pays par des sociétés privées occidentales. L'historien et actuel représentant permanent de la RDC auprès des Nations unies, Georges Nzongola-Ntalanja, a démontré dans son livre Le Congo de Léopold à Kabila : Histoire d'un Peuple, comment la notion de guerre civile a été fabriquée par le Rwanda, l'Ouganda et leurs promoteurs pour servir de prétexte aux invasions de 1996 et 1998, dont l'objectif principal était l'occupation de l'est du Congo, une région qu'ils occupent encore aujourd'hui.


Un compte rendu détaillé des sociétés minières telles que Lundin Group, Banro, Mindev, Barrick Gold, South Atlantic Resources et Anvil Mining, qui ont alimenté cette guerre, figure dans l'ouvrage de Patrick Mbeko intitulé Le Canada et le pouvoir tutsi du Rwanda : Deux décennies de complicité criminelle en Afrique centrale, écrit en 2014. Noir Canada d'Alain Deneault, publié en 2008, documente également le rôle des sociétés minières basées au Canada dans la guerre. Il a été attaqué en 2008 par Barrick Gold, qui a intenté une action en justice de 6 millions de dollars contre les auteurs et leur maison d'édition pour diffamation, et Banro a également intenté un SLAP (Procès stratégique contre la participation du public) contre eux dans le cadre d'une tactique d'intimidation. Le film documentaire Le silence est or retrace la lutte d'Alain Deneault et de la maison d'édition Ecosociété pour se défendre contre cette action en justice.


L'illégalité de ces contrats miniers a été dénoncée dans le premier rapport du Groupe d'experts sur l'exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République démocratique du Congo, un groupe chargé par le Conseil de sécurité des Nations unies d'enquêter sur les accords commerciaux signés dans l'est de la RDC pendant la guerre. Au fil des ans, ces rapports semestriels ont souvent été ignorés, censurés, édulcorés, voire supprimés.


La minimisation du lien direct entre les minerais de conflit et la guerre internationale par procuration dans l'est de la RDC dans des livres tels que The War That Doesn't Say Its Name : The Unending Conflict in the Congo, de Jason K. Streans, ne rend pas du tout service aux tentatives de compréhension de la nécro-exploitation minière.


L'occupation de l'est de la République démocratique du Congo par des proxy milices rwandaises qui changent simplement d'acronyme - du RCD-Goma au CNDP ou aujourd'hui au M23 ou à l'ADF - a forcé les civils à s'organiser en groupes d'autodéfense pour protéger leur territoire. Ces milices étrangères par procuration terrorisent la population locale et réduisent à néant la possibilité d'autres activités viables telles que la production agricole locale. Aujourd'hui, plus de 10 millions de personnes ont été tuées dans cette région depuis 1996 et il y a 6 millions de civils déplacés à l'intérieur du pays.


L'impact de la "Loi Obama"


Un excellent film documentaire récent, We will win peace de Seth Chase, donne un aperçu rare de la vie des mineurs ordinaires dans l'est de la RDC, ainsi que de l'activisme manifestement déconnecté de l'Occident. Seth Chase ne se contente pas de dépeindre les conditions sous-humaines auxquelles sont confrontés les mineurs en RDC, il montre également comment la section 1502 de la loi Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act (2010), connue officiellement sous le nom de loi sur les minerais de conflit, ou ce que les Africains appellent familièrement la loi d'Obama (qui a imposé la traçabilité des minerais de conflit), est un exemple de ce qu'il appelle le "porno humanitaire." Elle a l'effet inverse de l'objectif visé, car les mineurs artisanaux sont poussés encore plus loin dans la misère.


"La traçabilité des armes et de leur fabrication serait une solution plus viable que les systèmes actuels," déclare Thierry Sikumbili, responsable de la certification au ministère des mines de la RDC, dans le film. Il souligne également que la RDC n'a pas été consultée lors de l'adoption de la loi Dodd-Frank, un détail troublant en soi. Plus déconcertant encore, le film montre comment la mise en œuvre de la "loi d'Obama" a forcé les mineurs à former des groupes d'autodéfense pour protéger leur région contre les milices mandataires rwandaises qui, au contraire, ont été autorisées à opérer librement, tandis que le travail des mineurs était considéré comme illégal.


Les prix et la production dans les Kivus et le Maniema ont chuté de 80 à 90 % respectivement à la suite de l'embargo décrété par le président Joseph Kabila sur l'exportation des minerais de conflit entre le 9 septembre 2010 et le 10 mars 2011, ce qui a laissé peu d'opportunités à la population, puisque jusqu'à deux millions d'emplois ont été touchés. Nombreux sont ceux qui ont fini par rejoindre les milices que l'adoption de la loi était censée réprimer.


En 2009, le président Joseph Kabila a légitimé un processus de paix qui a fini par affaiblir l'armée nationale du pays, car l'accord de paix prévoyait l'intégration (via un système appelé brassage) d'anciens rebelles étrangers dans l'armée nationale. L'interdiction de l'exploitation minière décrétée par Kabila a donc également permis à l'armée nationale congolaise (FARDC) - ou plutôt aux anciens bataillons rebelles servant dans les mêmes zones que pendant la guerre de 1998-2003 - de consolider son contrôle sur certaines mines auparavant non militarisées (par exemple, à Kamituga, dans la province du Sud-Kivu), ce qui a eu pour effet d'évincer la population locale. En l'absence de protection militaire gouvernementale, les civils des zones reculées ont formé des groupes d'autodéfense pour lutter contre les expulsions forcées.


Une étude réalisée en 2018 par les chercheurs de l'Université d'Anvers Nik Stoop, Marijke Verpoorten et Peter van der Windt, Plus de législation, plus de violence ? L'impact de Dodd-Frank en RDC à partir d'un ensemble de données sur les sites miniers et sur une période de trois ans (2013-2015) a montré que la politique a échouée à long terme, en particulier dans les zones abritant des mines d'or. Pour les territoires ayant un nombre moyen de mines d'or, l'introduction de Dodd-Frank a augmenté l'incidence des batailles de 44%, le pillage de 51% et la violence contre les civils de 28%, par rapport aux moyennes d'avant Dodd-Frank. Le rapport final de 2011 du groupe d'experts des Nations unies sur la République démocratique du Congo note que l'interdiction de facto a entraîné une augmentation de la contrebande de minerais de conflit via le Rwanda.


Un certain nombre d'efforts sont actuellement déployés, tant au niveau régional qu'international, pour améliorer les systèmes de traçabilité. Pourtant par exemple, selon Global Witness, il existe des preuves tangibles que le système de traçabilité de l'Initiative internationale de la chaîne d'approvisionnement de l'étain (ITSCI) a effectivement été utilisé pour le blanchiment massif de minerais.


Selon le professeur Jeffrey W. Matnz, la communauté d'aide internationale qui intervient en RDC par le biais de pratiques réglementaires telles que Dodd-Frank est une forme de fétichisme, qui se manifeste non seulement par la chaîne d'approvisionnement des matières premières elle-même, mais aussi par la promotion de discours qui servent à légitimer les déséquilibres politiques et économiques, supprimant ainsi les alternatives à la nécro-exploitation minière.


Mantz souligne l'ironie même des reportages sur ces systèmes d'exploitation de production et de circulation en Afrique, conçus par les pays riches et alimentés par les demandes des consommateurs : " Une recherche Google sur "Play Station 3 Violence" donne près de 2 millions de résultats ; la plupart des premières pages sont consacrées à des reportages sur la sortie de l'appareil de jeu en novembre 2006, où la pénurie (400 000 unités seulement) a entraîné des conflits, y compris des fusillades dans les magasins Best Buy aux États-Unis."



Lancement du livre de Charles Onana Holocauste au Congo, metro Paris, Avril 2023.



Solutions (im)possibles à l'exploitation sans fin


Un compte rendu anhistorique de cet état de fait extrêmement problématique, sans tenir compte de la géopolitique en jeu, passe à côté de la possibilité de trouver des solutions viables pour l'avenir. Un livre apparu récemment Holocauste au Congo, L'omerta de la communauté internationale, écrit par Charles Onana, spécialiste des Grands Lacs et universitaire, reconstitue, à l'aide d'un large éventail de témoignages et de documents d'archives allant de la CIA au Pentagone, des archives de la Maison Blanche, de l’Élysée, de l'Union Européenne et les Nations Unies, la manière dont l'occupation intentionnelle de cette région a été mise en place des 1996 pour piller ses ressources naturelles.


Dans un article paru en 2020, Would You Fight ? We Asked Aggrieved Artisanal Miners in Eastern Congo, Nik Stoop et Marijke Verpoorten abordent des questions cruciales telles que : quelle est la meilleure option pour le bien-être de la population locale, l'exploitation minière artisanale sous sa forme mécanisée ou l'exploitation minière à grande échelle ? Étant donné que l'exploitation minière à grande échelle est une économie d'enclave qui écrase l'économie locale, qu'elle tend vers les monopoles, qu'elle crée d'énormes dégâts environnementaux qui entravent la production agricole dans les régions qu'elle occupe, qu'elle évince l'exploitation minière artisanale lorsque la production est lancée, ce qui entraîne davantage de violence contre les civils, qu'elle est un mode de production à forte intensité de capital qui crée peu d'emplois et qu'elle entrave même délibérément les formes mécanisées d'exploitation minière à petite échelle, on ne peut que se demander pourquoi la plupart des travaux humanitaires se sont concentrés que sur l'exploitation minière artisanale.


Kara en Red Cobalt nous rappelle l'exploitation séculaire de la RDC qui a accompagné divers développements occidentaux : "L'ivoire pour les touches de piano, les crucifix, les fausses dents et les sculptures (1880), le caoutchouc pour les pneus de voiture et de vélo (1890), l'huile de palme pour le savon (1900), le cuivre, l'étain, le zinc, l'argent et le nickel pour l'industrialisation (1910), les diamants et l'or pour la richesse (toujours), l'uranium pour les bombes nucléaires (1945), le tantale et le tungstène pour les microprocesseurs (2000), et le cobalt pour les batteries rechargeables (2012)." Le Congo a été construit par la colonisation comme un espace où la rentabilité pouvait être maximisée grâce à une violence et une misère immense, et cette logique, nous rappelle Owen Dowling, persiste dans le capitalisme "post-colonial" à travers la dévaluation continue de la main-d'œuvre congolaise.


Le professeur d'études asiatiques, moyen-orientales et turques Isa Blumi, dans Destroying Yemen, décrit les conséquences dévastatrices quand on ignore les ambitions sous-jacente de ceux qui représentent le capital de garder un pays servile pour les besoins de certains intérêts régionaux et mondiaux: "Par tous les moyens nécessaires" ronronne le moteur de Wall Street alors qu'une nouvelle communauté indigène dans une jungle lointaine ou au sommet d'une montagne est anéantie pour le cobalt qui se trouve en dessous."


Sans un approche analytique holistique, il n'y a pas d'issue pour la population congolaise de cet extractivisme prédateur permanent, cette super exploitation qui a causé ce que Noam Chomsky et Andre Vltchek ont appelé en 2015 un super génocide et que Charles Onana appelle aujourd'hui l'Holocauste du Congo.

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