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  • Writer's pictureNicoletta Fagiolo

La Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH) et Survie : tout faux sur la Côte d'Ivoire, le Rwanda et la RDC




Écrire sur les droits de l'homme et avoir tout faux


Le Nouvel  historien et spécialiste de la région des Grands Lacs africains Charles Onana fait l'objet d'une action en justice lancée par des ONG basées en France, dont la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) et Survie. Le procès est  prévu à Paris du 7 au 11 octobre prochain, Charles Onana est accusé de négationnisme par rapport à ses analyses sur la  tragédie rwandaise de 1990-94. Survie a également rédigé une attaque contre le dernier livre d'Onana sur le génocide congolais, Holocauste au Congo, l'omertà de la communauté internationale. Cet article assez médiocre, écrit en deux parties par Odile Tobner, présidente de Survie, Négationnisme en RDC Apocalypse Congo, publié en ligne en février 2024, a un titre franchement incompréhensible. La reconstruction de l'histoire congolaise par Tobner ignore la géopolitique et des décennies d'archives et de recherches menées par des écrivains congolais et non congolais ; elle utilise des fausses équivalences ; elle minimise le massacre des réfugiés Hutus au Zaïre pour lequel il existe aujourd'hui des nombreux témoignages écrits par des survivants et des activistes des droits de l'homme; Tobner continue d'avancer le prétexte fabriqué par le Rwanda selon lequel les FDLR (réfugiés Hutus rwandais de 1994 vivant en exil au Congo depuis lors) représentent un danger dans l'est du Congo et une menace pour le Rwanda ; la présidente de Survie  brouille les frontières entre l'agresseur international et l'agressé dans l'est du Congo. Tobner termine son article par cette explication du génocide en cours en RDC : « Le livre d'Onana se distingue par l’absence de tout ce qui pourrait jeter ne serait-ce qu'un peu de lumière sur la tragédie à l'est de la RDC : l'héritage désastreux de Mobutu, la multiplicité des acteurs et l'opportunité de la ruée vers les ressources convoitées, qui rend les êtres humains pires que la bête la plus sanguinaire. » (l'accent est mis par moi)


Ce qui est peut-être le plus troublant pour Survie en tant qu'organisation de défense des droits de l'homme, est que sa présidente, dans cet article, oublie de mentionner le génocide congolais : ce génocide vieux de 28 ans, qui a tué plus de 12 millions de civils et en a déplacé 7,3 millions, n'est mentionné nulle part.


Survie et la FIDH ont contribué à blanchir les crimes commis au Rwanda par le Front patriotique rwandais (FPR) dirigé par les Tutsis, ainsi qu'à embrouiller  les lecteurs français sur le rôle présumé de l'armée française dans la tragédie rwandaise : les faits révèlent aujourd'hui que le prétendu « rôle de la France dans l'aide au génocide » était très probablement une opération psychologique des États-Unis visant à détourner l'attention de leur propre rôle dans l'entraînement, l'armement et le soutien du changement de régime au Rwanda en 1994, et l'invasion ultérieure du Congo (alors Zaïre).


Survie, en tant qu'organisation, devrait au moins réfuter les accusations selon lesquelles l'un de ses membres, Jean Carbonare, a joué un rôle sans équivoque d'apologiste pro-Kagame, ce que le journaliste d'investigation français Pierre Péan a révélé dans son livre Carnages. Carbonare est ensuite devenu conseiller du président Paul Kagame.


Un rapport de la Commission internationale d'enquête sur les violations des droits de l'homme au Rwanda depuis le 1er octobre 1990 a été publiée en 1993 par la FIDH ainsi que par Africa Watch (une division de Human Rights Watch), l'Union interafricaine des droits de l'homme basée au Burkina Faso et le Centre international des droits de l'homme et du développement démocratique basé au Canada (CIDPPD/ICHRDD). Carbonare faisait également partie de l'équipe de dix experts qui n'ont passé que deux semaines dans le pays, mais qui ont immédiatement accusé le gouvernement Habyarimana d'actes de génocide à l'égard de la minorité tutsie. Il est étonnant de constater que ce rapport de la Commission internationale de 1993 a été rejeté en 2003 par un tribunal canadien pour son manque de professionnalisme, de preuves solides et d'impartialité. Le rapport de 1993 a également été jugé partial par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, basé à Arusha, car son enquête n'avait même pas pris la peine d'entendre les personnes qu'il accusait de crimes. Eric Gillet, qui a travaillé pour la FIDH sur le rapport de la commission, a récemment fourni une explication maladroite à l'analyste géopolitique Patrick Mbeko, en disant qu'il avait fait ses recherches non pas comme un juge ou un historien, mais comme un activiste, d'où son manque de rigueur. Alex De Waal donne une description similaire dans sa relation parue en 2016 dans un article de la  Boston Review, Writing Human Rights and Getting it Wrong.


Alex De Waal raconte qu'après avoir quitté Human Rights Watch, il a fondé avec Rakiya Omaar une petite ONG, African Rights.  Sur le travail de Rakiya Omaar au Rwanda, De Waal dit ceci : « Après quelques jours, elle s'est rendue au Rwanda avec une escorte de rebelles du FPR et a réalisé un documentaire extraordinaire du génocide au fur et à mesure qu'il se déroulait. » Ce n'est pas vraiment une prémisse pour un reportage impartial, c'est comme documenter les violations des droits de l'homme en Syrie avec l'escorte de Daesch/ISIS.


En rédigeant des rapports sur le Rwanda , De Waal reconnait , je cite , « nous n'avions rien qui ressemblait à des preuves concrètes ». Il déclare ensuite que son travail consistait à rédiger un récit qui « attirerait l'attention ». Il aurait peut-être dû choisir le marketing comme métier. De Waal prend les distances avec son travail sur le Rwanda car, écrit-il, « je n'en savais pas assez sur le Rwanda », mais il admet : « Au Rwanda, j'étais pas vraiment  sûr des  actes que je posais ni de mon influence, alors je n'ai rien dit, même si le récit que j'ai aidé à élaborer est devenu une licence pour le despotisme ».  (...) « A’ partir de 1997, le FPR commençait à faire passer un nouveau vocabulaire jusque la’ jamais employé, le récit d'un génocide pour justifier sa dictature naissante et l'escalade de ses opérations militaires au Zaïre/République démocratique du Congo, qui sont rapidement allées au-delà de la sécurisation de la frontière rwandaise pour s'étendre à la chasse aux réfugiés hutus, à l'installation d'un nouveau gouvernement à Kinshasa et au maintien d'un périmètre de sécurité à l'intérieur du Congo, où son armée a été impliquée dans la contrebande d'or, de diamants et de bois de construction. Le FPR a commencé à tuer les siens et à forcer les autres à l'exil ». Pourtant, nulle part dans le texte, De Waal ne regrette d'avoir diffusé un récit biaisé, erroné et simpliste qui assainit les crimes du FPR en embrouillant les lecteurs occidentaux, car sa quête d'« attention », comme il l'écrit lui-même, est devenue une force motrice trompeuse dans ses écrits. Plus récemment, De Waal a de nouveau utilisé le mot génocide dans un contexte erroné concernant la crise en Éthiopie.


Judie Rever, une spécialiste du Rwanda, écrit dans Rwanda : the danger of a sanitized narrative que l'article de De Waal intitulé Human Rights and Getting it Wrong a été écrit pour se protéger, car il avait été informé de l’existence d'un article sur les droits africains qui allait être publié par Luc Reydams, spécialiste du droit pénal international et de la justice et professeur à l'université Notre Dame aux États-Unis. Rever écrit sur l'article de Reydams intitulé NGO Justice : African Rights as Pseudo Prosecutor of the Rwandan Genocide publié dans Human Rights Quarterly en 2016 que cet article « démonte les opérations et les méthodes obscures de l'ONG. Reydams fournit également des preuves irréfutables qu'African Rights est devenue une organisation de façade du FPR et que son récit du génocide a été produit avec le « soutien total et actif du FPR ». Le FPR, sous la direction de Paul Kagame, a gagné la guerre et est au pouvoir depuis 1994 ».


Rever souligne comment le livre publié par African Rights Death, Despair and Defiance « a préparé l'opinion publique au conflit et a préparé la façon dont le monde a vu le FPR comme des vainqueurs moraux et les Hutus comme des coupables ».  Rever renvoie également à d'autres articles publiés par De Waal à l'époque, dans lesquels il appelle à attaquer les camps de réfugiés hutus dans l'est du Zaïre pour résoudre le problème des réfugiés. On parle aujourd'hui de 800.000 réfugiés hutus qui ont péri en 1996, bombardés dans les camps de réfugiés, pourchassés par l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL) et l'armée rwandaise ou morts en fuyant. Quelle solution humanitaire !


L'indépendance générale de HRW a été remise en question dans une lettre ouverte adressée en mai 2014 au directeur exécutif de Human Rights Watch, Kenneth Roth, au nom des lauréats du prix Nobel de la paix Adolfo Perez Esquivel et Mairead Maguire, de l'ancien sous-secrétaire général des Nations unies Hans von Sponeck, de l'ancien rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme dans les territoires palestiniens Richard Falk, ainsi que de plus de 100 historiens, déplorant principalement la politique de la porte tournante de HRW avec le gouvernement des États-Unis.


Ces quelques faits devraient à tout le moins justifier une enquête sur l'indépendance de ces ONG en ce qui concerne leurs reportages sur les guerres rwandaise et congolaise.


Cet article veut cependant se concentrer sur une autre crise, à savoir celle qui a commencé en Côte d'Ivoire en septembre 2002 et qui dure encore aujourd'hui. Beaucoup d'Ivoiriens l'appellent le plus long coup d'État...


Les ONG, apologistes des pro-Ouattara


Laurent Gbagbo, panafricaniste, professeur d'histoire et socialiste, a lutté contre le parti unique de Félix Houphouët-Boigny en Côte d'Ivoire pour le multipartisme sur plusieurs fronts : d'une part en analysant les mécanismes du régime répressif dans ses livres et lors de débats publics, et d'autre part en travaillant clandestinement à la création d'un parti d'opposition, le Front populaire ivoirien (FPI), parti qui a opté pour une transition non-violente vers la démocratie. Son épouse de l'époque, Simone Ehivet Gbagbo, syndicaliste et linguiste spécialisée dans l'histoire orale africaine, a travaillé pendant ses études universitaires dans le mouvement syndical indépendant, le Syndicat national de l'enseignement supérieur (SYNECI), puis a dirigé le Syndicat national de la recherche et de l'enseignement supérieur (SYNARES), avant de fonder en 1982, avec quatre autres camarades, le parti FPI.


Lorsque Laurent Gbagbo a prêté serment en tant que président en 2000, lui et sa femme avaient mené 30 ans de lutte non violente, qui avaient abouti à de nombreuses réformes démocratiques, dont un système multipartite.  Comme les Gbagbo étaient tous deux panafricanistes et qu'ils avaient une vision claire de leur pays pour dépasser le néocolonialisme, peu après leur arrivée au pouvoir, plusieurs tentatives de coup d'État contre leur gouvernement ont commencé, et le coup d'État de septembre 2002 a fini par diviser le pays en deux. L'ancien ambassadeur italien en Côte d'Ivoire, Paolo Sannella, se souvient de ces jours dramatiques dans ce témoignage vidéo.


Charles Onana a publié en 2011 un livre novateur, Côte d'Ivoire, le coup d'État, qui reconstitue les événements qui ont conduit à ce que l'analyste politique Michel Galy a qualifié de changement de régime franco-onusien dans ce pays d'Afrique de l'Ouest la même année. Côte d'Ivoire, un changement de régime a été publié à un moment où la plupart des journalistes, professeurs d'université, analystes politiques et militants des droits de l'homme diabolisaient l'ancien président Laurent Gbagbo et demandaient qu'il soit poursuivi devant la Cour pénale internationale (CPI). Gbagbo a été transféré à la CPI basée à La Haye en novembre 2011 et y est resté pendant neuf ans, avant d'être acquitté de tous les crimes dont il était accusé. Simone Ehivert Gbagbo a été emprisonnée en Côte d'Ivoire avec des centaines de membres et de sympathisants du parti FPI, mais en 2017, elle a été acquittée de tous les crimes dont elle était accusée.


Si l'analyse d'Onana avait été prise au sérieux à l'époque, beaucoup de temps et d'argent (le procès de Laurent Gbagbo devant la CPI a coûté jusqu'à 8 millions d'euros par an selon la journaliste française Fanny Pigeaud) n'auraient pas été gaspillés, dans ce qui était un cas évident de lawfare. En outre, la Côte d'Ivoire ne vivrait peut-être pas aujourd'hui sous la dictature d'Alassane Ouattara : Ouattara s'est présenté pour un troisième mandat électoral illégal en 2020, boycotté par tous les partis du partis politiques, et pourtant les politiciens français de l'époque ont reconnu ce simulacre d'élections, bien que 200 personnes aient été tuées alors qu'elles manifestaient pacifiquement. Aujourd'hui, Ouattara pourrait même se présenter pour un quatrième mandat illégal en 2025.


Qu'ont écrit la FIDH et Survie sur la Côte d'Ivoire depuis le début de la crise en septembre 2002, lorsque le gouvernement de Gbagbo, récemment installé, a fait face à la tentative de coup d'État des milices soutenues par la France, connues sous le nom de Forces nouvelles, venues du Burkina Faso ?


Le quartier général du coup d'État est le Quai d'Orsay.


Une campagne de diabolisation a été lancée contre Laurent Gbagbo l'année de son arrivée au pouvoir en 2000. En 2001, un film, La Poudrière identitaire, réalisé par le sociologue belge et directeur de l'ONG Preventing Genocide Benoit Scheuer, dépeint Gbagbo comme un dictateur ethnocentrique fomentant une politique identitaire d'exclusion. Rien n'est plus faux. Le gouvernement de Gbagbo, connu sous le nom de gouvernement des « professeurs » en raison du grand nombre de professeurs d'université qu'il comptait, était le plus multiethnique que la Côte d'Ivoire ait jamais eu, et sa lecture de la nationalité allait au-delà des affiliations ethniques ou tribales, pour inclure un État fort et une administration décentralisée innovante capable de garantir les droits de la citoyenneté dans tous les domaines.


En 2006, le président Gbagbo et son épouse Simone Gbagbo ont gagné un procès en diffamation contre le journal français Le Monde, qui a été condamné par la Cour d'appel de Paris pour avoir affirmé que le couple présidentiel avait eu recours à des « escadrons de la mort », une accusation qui s'est avérée infondée.


Ademola Araoye, diplomate nigérian de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et universitaire, écrit dans son livre Côte d'Ivoire,The Conundrum of a Still Wretched of the Earth (2012) que la France, par l'intermédiaire de RFI (Radio France International) et de nombreux autres organes de presse écrite et électronique, a déterminé et interprété de manière trompeuse les faits de la crise ivoirienne à l'intention du monde entier.





Survie a participé à cette campagne de diabolisation en attribuant également des escadrons de la mort au couple Gbagbo. Dans un article particulièrement troublant écrit par l'ONG un peu plus d'un mois après la tentative de coup d'Etat du 19 septembre 2002, le 24 octobre 2002, elle ne s'attarde pas sur le crime d'agression commis par les milices pro-Ouattara qui ont envahi la Côte d'Ivoire depuis le Burkina Faso, mais se concentre sur la diabolisation du gouvernement Gbagbo : allusions à l'utilisation de discours de haine, d'escadrons de la mort, ainsi qu'une référence au danger d'une répétition du génocide rwandais !


Pour qui ne connaît pas la crise ivoirienne, à la lecture de ce bref article de Survie, on ne peut que penser le pire du gouvernement Gbagbo. De plus, l'article indique que la montée xénophobe est surtout observée dans le camp des « légitimes ». Survie met le mot légitime entre parenthèses, soulignant ainsi l'illégitimité du gouvernement Gbagbo. (Allez y comprendre !)




En effectuant une recherche rapide sur internet des articles de la FIDH en 2002 (1), on ne peut que constater que l'ONG évite totalement d'analyser la tentative de coup d'État du 19 septembre 2002. Le seul article trouvé pour cette période est une lettre ouverte adressée par la FIHD au président Gbagbo, lui reprochant de ne pas avoir fait suffisamment la lumière sur ce qu'il est convenu d'appeler le charnier de Yopougon en 2000. (2)




En septembre 2002, quand  la Côte d'Ivoire fut attaquée, les Français étaient censés venir en aide à Gbagbo en vertu de l'accord de défense de 1961 qui garantissait aux présidents la protection militaire de la France en cas d'invasion ou d'attaque, mais la France a refusé, choisissant plutôt de créer une zone tampon entre le nord et le sud, un choix politique qui a fini par diviser de facto le pays en deux pour les années à venir. Cette politique a légitimé une rébellion impitoyable qui, en 2006, avait provoqué le déplacement de quelque 750 000 personnes qui avaient fui les Forces nouvelles pour se rendre dans la partie sud du pays encore sous le contrôle du gouvernement Gbagbo.


Dans un appel lancé en décembre 2002, plusieurs ONG, dont Survie et la FIHD, exonèrent l'empire français de toute responsabilité dans la crise : elles ne critiquent pas les propos de la France sur le renforcement de sa présence militaire dans le pays, et ne désignent pas les milices soutenues par la France, les Forces Nouvelles, qui ont déclenché la crise en premier lieu. L'agression militaire qui a coupé le pays en deux est totalement occultée, ces deux ONG soulignent une « escalade de la propagande xénophobe » de la part du gouvernement Gbagbo. La lecture ethnique erronée de la crise permet d'occulter la guerre d'agression internationale.



Avant l'accord de paix de Linas-Marcoussis/Kléber conclu sous l'égide de la France en janvier 2003, les dirigeants africains chargés de la médiation de la crise pensaient que les rebelles pouvaient demander que leurs griefs militaires soient pris en compte, mais qu'ils n'avaient pas le droit de faire des revendications politiques. La diplomatie française a changé la donne. En effet, Laurent Gbagbo, après une journée de discussions à Paris avec les rebelles, ainsi qu'avec le président de l'époque Jacques Chirac et le ministre français des affaires étrangères Dominique de Villepin, fatigué et rentrant tard à l'hôtel Le Meurice le 24 janvier, confia à son ami Guy Labertit, la veille de la signature officielle des accords de paix Marcoussis-Kléber, que « le quartier général du coup d'État est devenu le lieu de rassemblement des rebelles » : « le siège du coup d'Etat est le Quai d'Orsay"[3], le ministère français des Affaires étrangères. Cet accord de paix a contraint Gbagbo à intégrer dans son gouvernement des rebelles illégitimes et souvent analphabètes. Si la France avait été attaquée par des milices qui ont coupé son pays en deux, un dialogue ouvert avec ces putschistes serait-il une option politique envisageable ?




Un article de Survie de 2003, Côte d'Ivoire : Gbagbo armé jusqu'aux dents, omet à nouveau de signaler le coup d'État illégal que les milices pro-Ouattara des Forces nouvelles ont tenté en septembre 2002, et dit à la place que le président Gbagbo « continue de rêver de vengeance ». Une revanche ? N'était-ce pas un souci légitime de rétablir l'intégrité territoriale du pays dont il était le Président.


Dans un bref article de Survie Côte d'Ivoire - bientôt la paix ? datant de mars 2004, l'ONG dépeint à nouveau Gbagbo comme un homme politique qui alimente les divisions ethniques. Toute personne connaissant l'histoire ivoirienne sait que le concept d'ivoirité n'a pas été adopté par le parti de Gbagbo, le FPI, qui a plutôt poussé à un processus de démocratisation complète des institutions du pays, ainsi qu'à l'abandon des partis politiques fondés sur l'appartenance ethnique. L'article souligne également les accords de réconciliation de Gbagbo avec les multinationales françaises, sans reconnaître l'énorme pression politique française pour imposer l'acceptation de l'accord de paix de Marcoussis qui a porté des mercenaires non élus dans le gouvernement de Gbagbo. Georges Peillon, consultant en communication de crise et ancien porte-parole de la force française Licorne stationnée en Côte d'Ivoire, a quitté son emploi en raison de cette politique française.  Il est étrange qu'une ONG comme Survie, toujours prête à dénoncer le concept de la françafrique, ne comprenne pas à quel point il a été difficile pour une ancienne colonie française de s'éloigner du contrôle néocolonial. Le gouvernement Gbagbo est également considéré comme un phénomène sociologique, car il a représenté la naissance d'un État-nation et d'une classe moyenne intellectuelle qui avait pour point de référence Abidjan, et non Paris.


Survie et la FIDH ont au contraire poussé à la mise en œuvre complète des accords de Linas-Marcoussis, qui ont gravement affaibli le gouvernement de Gbagbo et légitimé une milice qui a pris les armes, déstabilisant ainsi le pays.


Survie dans un article d'avril 2004, Côte d'Ivoire : faux problèmes et vraies questions de paix écrit : « L'attitude du président Laurent Gbagbo, qui consiste à dire qu'il est “le seul à appliquer Marcoussis” conduit à une impasse ».  Ah bon ?  Gbagbo remplissait toutes les exigences de Marcoussis alors que la seule exigence de la milice pro-Ouattara, à savoir le désarmement, n'a jamais été remplie. C'est aussi la raison principale de la violence des élections de 2010, lorsque les bureaux de vote dans le nord ont été attaqués par les milices pro-Ouattara. Au lieu de cela, Survie, utilisant une fausse équivalence, écrit : « Accepter Marcoussis (comme les protagonistes ivoiriens le proclament sur tous les tons et presque quotidiennement) ne présuppose-t-il pas et n'implique-t-il pas que nous commencions par accepter l'autre, tel qu'il est et non tel que nous voudrions qu'il soit ? » La lecture ethnique erronée omet à nouveau de manière trompeuse le crime d'agression.


Bouaké 2004


Charles Onana a publié en 2013 France-Côte d'Ivoire : la Rupture sur les événements de 2004 connus sous le nom de Bouaké, qui était une opération psychologique française visant à criminaliser le gouvernement Gbagbo, qui avait décidé, face au non-désarmement des milices, de rétablir le contrôle, par des moyens militaires, sur les zones occupées par celles-ci.


En 2004, le journaliste et spécialiste des médias français David Schneidermann analyse la presse française de l'époque, l'accuse de s'apparenter à de la propagande de guerre et de détourner les lecteurs des faits : neuf soldats français et un coopérant américain ont été tués lors d'une frappe aérienne à Bouaké, et la France, sans mener d'enquête, a immédiatement riposté en détruisant l'ensemble de l'armée de l'air ivoirienne. Les Ivoiriens sont descendus dans la rue pour protester. Dans les jours qui ont suivi, l'armée française aurait tiré sur des manifestants non armés, tuant 67 Ivoiriens et en blessant plus de 2 000, dont 500 avec domages permanants.


La FIDH a parlé de manifestations « violentes » de la part des Ivoiriens, mais a omis de signaler qu'il y avait eu une tentative de coup d'État français, comme me l'a dit Gildas Le Lidec, alors ambassadeur de France en Côte d'Ivoire, lors d'une interview. Soixante véhicules blindés français ont été soudainement stationnés devant la résidence présidentielle, et une probable tentative de coup d'État français n'a été stoppée que grâce à d'énormes foules de civils non armés qui gardaient les lieux. 


Dans un livre de Charles Onana, Côte d'Ivoire, le coup d'État, nous avons des témoignages des journalistes français qui étaient sur le terrain et ont filmé les Français tirant sur des civils depuis des hélicoptères ; nous apprenons également qu'une enquête sud-africaine sur les événements a démontré, preuves balistiques à l'appui, qu'aucun coup de feu n'a été tiré sur les soldats français par la foule qui manifestait pacifiquement devant l'hôtel Ivoire. L'ouvrage d'Onana France-Côte d'Ivoire : la Rupture a fourni de plus amples détails sur ces événements tragiques dès 2013.


Un film tourné par l'acteur et réalisateur ivoirien Sidiki Bakaba, La victoire au mains nues, nous plonge dans l'époque de ces événements tragiques. Sidiki Bakaba a également été témoin de la crise de 2011 qu'il a tenté de filmer, mais il a été abattu et a risqué d'être exécuté par les milices de Ouattara, échappant heureusement à la mort. Voici le témoignage de Sidiki Bakaba sur les événements de 2011.


Dans un communiqué de presse de la FIDH du 30 novembre 2004, trois semaines après l'incident de Bouaké du 6 novembre 2004, l'ONG accuse déjà le gouvernement Gbagbo d'avoir attaqué la base militaire française qui a tué les neuf soldats français et un travailleur humanitaire américain. Aucune enquête n'avait été menée à ce moment-là.




Les faits entourant ces événements tragiques n'ont toujours pas été élucidés à ce jour. « Le procès qui s'est tenu en France en 2021 sur l'attentat initial de Bouaké - dans lequel les soldats français ont été tués - n'a guère permis de dissiper les soupçons, car il n'a pas permis d'identifier le commanditaire de cette attaque ni de clarifier les nombreuses contradictions et mensonges des autorités politiques et militaires françaises - qui ont laissé filer à deux reprises les pilotes biélorusses des deux avions impliqués », écrit la journaliste Fanny Pigeaud dans une série de quatre articles parus en août 2024.  Alors qu'un collectif s'est constitué en Côte d'Ivoire qui a recensé 90 morts et plus de 2, 500 blessés, la France n'a, à ce jour, procédé à aucune indemnisation des victimes.


UN COUT D’ETAT FRANCO-ONUSIEN


À la suite des élections contestées de 2010 entre le président sortant Gbagbo et le fantoche Alassane Ouattara soutenu par l'Occident, Gbagbo, dès décembre 2010, a demandé un recomptage supervisé des votes. Pourtant, les brèves dépêches des agences de presse du monde entier ne répètent qu'une seule et même histoire : Gbagbo a perdu les élections en novembre : Gbagbo a perdu les élections en novembre 2010, mais s'accrocherait au pouvoir.


Bien que Gbagbo ait prêté serment en tant que président par toutes les principales institutions du pays, la FIDH et Survie ont répété ad nauseum dans tous leurs communiqués de presse et rapports que la raison de la crise était le « refus de Gbagbo de se retirer » et de céder le pouvoir à son adversaire Alassane Ouattara.  Ce parti pris n'a pas seulement empêché un simple recomptage des voix, mais a fini par légitimer un coup de force des milices de Ouattara, qui ont tué des milliers de civils alors qu'elles avançaient à la conquête de la capitale Abidjan. La FIDH ou Survie n'ont pas fourni d'analyse de la séquence des événements pendant les élections de 2010. Dans une récente interview à la télévision nationale française, l'avocat et conseiller politique Robert Bourgi a déclaré que Laurent Gbagbo avait remporté les élections, alors que le président Nicolas Sarkozy, après avoir offert à Gbagbo une retraite lucrative qu'il a refusée, a déclaré qu'il le vitrifierait.


En tant que cinéaste, j'ai suivi la crise ivoirienne de 2011 à 2019 et j'ai eu l'occasion de filmer de nombreux témoins directs de la crise : on peut voir mon film documentaire, Simone & Laurent Gbagbo, le droit à la différence, sur les élections de 2010.






Dans son livre Côte d'Ivoire, le coup d'État, publié en 2011, Onana a republié en guise de préface l'excellent article de l'ancien président sud-africain Thabo Mbeki intitulé What the World Got Wrong in Côte d'Ivoire, écrit le 29 avril 2011 pour la revue Foreign Policy. Mbeki avait été médiateur dans la crise ivoirienne et disposait donc d'informations essentielles sur la crise à laquelle le pays était confronté depuis la tentative de coup d'État de 2002. Pourtant, cet article perspicace a été ignoré, noyé dans la cacophonie des médias traditionnels et des ONG telles que Survie et la FIDH.




De décembre 2010 à mars 2011, l'ONU, l'UE, la France et les Etats-Unis ont mené une politique d'asphyxie diplomatique et financière à l'encontre du gouvernement Gbagbo - embargo sur les médicaments, le cacao, les mandats internationaux, gel des fonds et des biens privés, fermeture des succursales locales des banques françaises et américaines - suivie en avril 2011 du coup d'Etat franco-onusien. La FIDH a également accusé Laurent Gbagbo de crimes contre l'humanité en mars 2011, alors que l'Union africaine cherchait encore une solution pacifique à la crise, exacerbant ainsi une situation politique déjà tendue. 



Finalement, le palais présidentiel, où résidait Gbagbo, a été bombardé pendant dix jours par les Nations unies, ainsi que par la milice pro-Ouattara, et Gbagbo, ainsi que des centaines d'Ivoiriens, ont été faits prisonniers.


L'incarcération de Gbagbo est due à la lutte non violente qu'il mène depuis des décennies pour obtenir une plus grande autodétermination politique par rapport à la France, la solidarité panafricaine et l'autosuffisance économique, qui doit être obtenue grâce à des principes socialistes contre le néocolonialisme.


Les images des tortures perpétrées par la milice des Forces nouvelles à l'hôtel Ivoire, en présence du personnel de l'ONU, ont largement circulé sur Internet, mais Survie et la FIDH sont restées silencieuses.



Simone Ehivet Gbagbo humiliée par les milices pro-Ouattara Forces Nouvelles, avril 2011.


Favoritisme et complicité judiciaire  des ONG


Une fois Gbagbo déporté à la Cour pénale internationale et son épouse Simone Ehivet Gbagbo emprisonnée en Côte d'Ivoire, ainsi que des centaines de membres et sympathisants du parti FPI, la FIDH et Survie n'ont pas mis l'accent sur les violations croissantes des droits de l'homme sous le régime d'Alassane Ouattara, mais ont au contraire félicité la CPI pour la déportation de Gbagbo.


Survie a fini par changer de position sur la façon dont elle rendait compte de la crise ivoirienne, d'après ce que m'ont dit des activistes ivoiriens, également en raison des preuves factuelles qu'ils ont fournies à l'ONG, mais les dix années de criminalisation du gouvernement Gbagbo avaient déjà fait des dégâts. La FIDH est restée ancrée dans son parti pris anti-Gbagbo, malgré les preuves flagrantes apparues lors du procès de la CPI, et de nombreux autres témoignages, qui l'ont exonéré, lui et son gouvernement, de toute activité criminelle.


Dans un communiqué de presse du 27 janvier 2016, la FIHD écrit à propos de l'emprisonnement en cours des membres et sympathisants du FPI : «  Plusieurs de nos organisations soutiennent près de 300 victimes dans ces procédures judiciaires et la FIDH, le MIDH et la LIDHO sont parties civiles.  » Ainsi, l'ONG a continué à prendre parti contre le gouvernement Gbagbo alors que le dossier à la CPI était en train de s'effondrer.


Dans ses communiqués de presse sur les procédures de la CPI, la FIDH a également omis de mentionner un moment crucial en 2013, lorsque deux juges sur trois ont ordonné la libération de Gbagbo en raison de l'absence de preuves incriminantes pour confirmer les accusations. L'ancien président Thabo Mbeki, lors du lancement du Thabo Mbeki African Leadership Institute (TMALI) Alumnae Forum en 2015, a réproché  la CPI pour son comportement illégal, qui a violé les procédures régulières.


En Côte d'Ivoire, Simone Ehivet Gbagbo a été acquittée pour crimes contre l'humanité mais avait également été accusée de « déstabilisation de l'État » (alors qu'elle faisait partie du gouvernement officiellement reconnu) et condamnée à 20 ans de prison. Lorsque Ouattara a décidé en 2018 de l'amnistier ainsi que d'autres prisonniers politiques (qui, en sept ans, n'avaient même pas eu la chance d'être jugés), la FIDH, HRW et d'autres ONG ont écrit une lettre ouverte le 7 mai 2018 au président Alassane Ouattara, déclarant qu'au nom de la justice, ils ne devraient pas bénéficier d'une amnistie.


Un moment clé, révélé par la journaliste Fanny Pigeaud, qui s'est produit pendant le procès de la CPI a été la divulgation des Ocampo Leaks  en 2017 : des fuites de documents diplomatiques français ont montré que le 11 avril 2011, cinq mois avant l'ouverture d'une enquête de la CPI et quelques heures avant l'arrestation de Laurent Gbagbo, le Procureur de la CPI de l'époque, Louis Moreno Ocampo, avait demandé que Laurent Gbagbo soit maintenu en prison jusqu'à ce qu'un pays renvoie l'affaire devant la CPI. Survie et la FIDH ont évité ce manque total de respect des procédures de la part de la CPI, qui aurait dû immédiatement interrompre la procédure.


Lorsque Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, l'activiste non-violent et ministre de la Jeunesse co-accusé dans ce procès, ont finalement été acquittés, après ce que beaucoup ont considéré comme un exemple clair de guerre juridique, la FIDH a appelé le procureur à faire appel de la décision, au nom de la « justice pour les victimes ». Les libérer reviendrait, selon la FIDH, à permettre l'impunité.


Faiblesse exceptionnelle, authenticité douteuse et/ou contenant d'importants ouï-dire anonymes, fragilité, caricature, partialité, incohérence ou autre inadéquation, absence de valeur probante, tels sont certains des termes utilisés par la majorité des juges de la Cour pénale internationale basés à La Haye, Cuno Tarfusser et Geoffrey Henderson, pour rejeter, à mi-procès, les preuves du procureur de la CPI dans l'affaire contre Laurent Gbagbo et le ministre de la jeunesse Charles Blé Goudé. La FIHD ignore ce jugement.






On ne peut s'empêcher de se demander comment ces ONG peuvent encore être crédibles après toute la propagande qu'elles ont publiée au fil des ans, une propagande qui a eu de graves conséquences pour les pays ciblés par les puissants pays occidentaux néocoloniaux en vue d'un changement de régime.


Heureusement, aujourd'hui, des milliers de livres écrits par des Ivoiriens et des non-Ivoiriens, ainsi qu'une victoire judiciaire à la CPI, également due à une résistance acharnée de dix ans de la part de la diaspora ivoirienne, ont écrit une histoire différente, écartant le récit trompeur des ONG. Mais à quel prix ?


Quand ces ONG irresponsables, pour ne pas dire plus, seront-elles tenues pour responsables des erreurs aux quelles elles ont induit des sympathisants des droits de l'homme qui s'appuient sur leurs rapports pour rester informés ?


 

Nicoletta Fagiolo, Septembre 2024


Traduit de l’Anglais par Sergio Samba Ebona




NOTES


(1) Les articles peuvent avoir été retirés de l'internet, des recherches approfondies dans les archives seraient donc nécessaires pour le confirmer.


(2) En 2000, lorsque Laurent Gbagbo, chef de l'opposition de longue date, est devenu président un jour après avoir prêté serment, le 27 octobre, un charnier de cinquante-sept personnes a été découvert à Yopougon. La FIDH a rédigé un rapport décrivant divers scénarios possibles pour déterminer les responsables. Dans le livre de Charles Onana, Côte d'Ivoire, un changement de régime, on peut lire le rapport de l'ambassadeur de France en Côte d'Ivoire, Renaud Vignal, qui soulignait à l'époque que le président Gbagbo n'avait rien à voir avec ce charnier. Le rapport de la FIDH sur cet incident, bien que n'accusant pas directement le gouvernement Gbagbo, esquisse des scénarios possibles de responsabilités, deux des trois explications données pointant vers le gouvernement nouvellement élu du FPI.


(3) Guy Labertit, Adieu, Abidjan-sur-Seine, Les Coulisse du conflit ivoirien, Autres Temps Edition, Paris, 2008. p 31.


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