L’intention de Charles Onana de mettre fin à l’apartheid des victimes rwandais
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Passons maintenant à d'autres phrases parmi les 16 que six ONG, se portant parties civiles, ont choisies à Paris pour attaquer Charles Onana et son rédacteur en chef Damien Serieyx comme négationnistes du génocide.
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Quatre phrases choisies par les plaignants dans le livre d'Onana Rwanda, la vérité sur l'opération Turquoise pour le dénoncer comme négationniste du génocide soulignent toutes que toutes les ethnies rwandaises ont été tuées, pas seulement les Tutsis : « Il faut dire que les rebelles ont profité de la vague d'émotion due à la réalité des massacres de Tutsis, Twas et Hutus. »[i] (p. 494) ; « Certes les Tutsis ont été massacrés, ciblés, mais ils ne sont pas les seuls. » (p. 567) ; « Au Rwanda, Tutsis, Hutus et Twas ont été sauvagement massacrés » (p. 621) ; « Les attitudes qui consistent à désigner, sous la pression du sens commun ou du discours officiel, les auteurs et victimes présumés du « génocide » et qui écartent, dans les mêmes conditions, d'autres auteurs ou victimes présumés de crimes contre l'humanité au Rwanda relèvent soit d’une approche purement discriminatoire, » [ii] (p 79)
Avant d’aborder le sens de ces phrases au sein de leurs chapitres respectifs dans un article ultérieur, nous nous concentrerons sur le fait qu’écrire que tous les groupes ethniques ont souffert et succombé lors de la tragédie rwandaise est vu dans ce procès par les plaignants comme une forme de négation du génocide.
Cependant, même le secrétaire d’État Antony Blinken dans un tweet commémorant l’anniversaire de cette année du génocide rwandais a rappelé toutes les victimes de la tragédie, Hutus, Tutsis et Twa.
Survivre par la parole comme Ijoro ribara uwariraye
La loi française de 2017 sur la négation du génocide Tutsi rend un très mauvais service à la réconciliation rwandaise en renforçant la division entre ce que Noam Chomsky et Edward S. Herman, dans Fabriquer un Consentement, La gestion politique des médias de masse, ont appelé les victimes dignes et indignes.Cet élément clé de la propagande de guerre s’est avéré extrêmement efficace de la part du Front Patriotique Rwandais (FPR).
« Les victimes dignes sont un outil efficace pour diaboliser l’ennemis. Elles sont utilisées pour effacer les nuances et l’ambiguïté », écrit le journaliste et auteur Chris Hedges à propos d’autres guerres impérialistes contemporaines. Un livre récent de 2022, Survivre par la parole, qui contient un recueil de 106 témoignages rwandais produits par la plateforme rwandaise Ribara Uwariraye, veut mettre fin à cet apartheid des victimes dans le Rwanda d’aujourd’hui.
Ils écrivent dans l’introduction : « Aujourd’hui, une version simplifiée de l’histoire du génocide s’est répandue dans le monde et est largement adoptée comme récit officiel. (…) Le FPR a élaboré un récit trop simpliste, qui les exonère de toute implication dans les atrocités commises avant, pendant et après le génocide. Ce récit efface les expériences de millions de personnes qui ont souffert au Rwanda et dans la région environnante. Il existe un dicton kinyarwanda qui dit « Ijoro ribara uwariraye » qui signifie « la personne qui a vécu l’expérience peut le mieux la raconter et la décrire. »
Les témoignages recueillis dans Survivre par la parole déplorent tous l’utilisation du génocide par le régime de Kagame comme arme pour faire taire la dissidence. Ils posent la question cruciale : « Avons-nous le droit de dire aux survivants de changer leurs histoires pour qu’elles puissent s’alingner au récit officiel ? »
J’ai donc été surpris d’entendre le procureur de Paris dire au procès d’Onana que tous les témoignages admettaient qu’il y avait eu un génocide des Tutsis, mais que la situation était complexe et méritait d’être interrogée plus avant. Pour le procureur, cela équivalait à un déni de génocide. Une déclaration embarrassante car elle imite « un aspect spécifique du climat politique oppressif du Rwanda : le recours aux poursuites pénales en vertu des lois négationnistes du pays pour restreindre la liberté d’expression. »[iii]
La loi de 2017 sur le génocide en France condamnerait automatiquement ces 106 Rwandais comme négationnistes du génocide. La liste de ces présumés négationnistes du génocide devient ridiculement longue. Malgré la peine de 25 ans de prison que l’on risque au Rwanda, ces personnes ont toutes décidé de briser le silence oppressant qui entrave la réconciliation dans le Rwanda d’aujourd’hui.
De nombreux témoignages recueillis auprès de Survivre par la parole situent la guerre du 1er octobre 1990 comme un moment décisif dans l’histoire du pays : le moment où la paix a disparu, le moment où les gens ont commencé à se voir à travers des identités ethniques, le moment où l’insécurité s’est fait sentir dans le pays ou le moment où le problème des réfugiés internes a commencé. « La vie n’a plus jamais été la même depuis ce jour (…) dans les années qui ont suivi, Kigali allait être jonchée de réfugiés du nord du Rwanda fuyant la guerre et les atrocités commises par le FPR », écrit Claude Gatebuke[iv].
Justin Podur, professeur associé au département des changements environnementaux et urbains de l’université York à Toronto et analyste géopolitique, souligne dans son brillant livre de 2021 America’s Wars on Democracy in Rwanda and the Democratic Republic of Congo que la guerre a joué un rôle central dans la compréhension par les Rwandais de ce qui a changé sur le terrain après 1990. Il écrit : « Le génocide faisait partie de la dynamique de la guerre civile et n’aurait pas eu lieu sans les invasions du FPR. Même si les auteurs pro-Kagame traitent la guerre et le génocide comme des événements distincts et sans rapport, la chercheuse Lee Ann Fujii a constaté que les Rwandais ne le voyaient pas de cette façon : « Le mot le plus courant que les gens utilisaient pour désigner la période de 1990-1994 était intambara, qui signifie « guerre ». Les gens semblaient utiliser ce mot le plus souvent malgré les multiples façons de désigner le « génocide » en kinyarwanda, ce qui indique peut-être une compréhension commune du lien étroit entre les deux formes de violence. » [v]
Jusqu’en 2003, les Rwandais qualifiaient la récente tragédie du pays d’intambara, c’est-à-dire de guerre. Le terme « idéologie du génocide » a été utilisé pour la première fois au Rwanda en 2003, visant le principal parti d'opposition, le MDR (Mouvement démocratique de la République) et son leader Faustin Twagiramungu. Après l'interdiction du parti, Twagiramungu s'est présenté comme candidat indépendant, mais a rapidement quitté le parti après les élections, de peur d'être arrêté.
Pourtant, cette guerre d’agression internationale est totalement omise du récit conventionnel sur le Rwanda. De plus, les plaignants dans ce procès qualifient Onana de négationniste du génocide simplement parce qu’il affirme que le changement de régime illégitime du FPR[vi] doit être pris en compte lors de la reconstitution des événements historiques, car la guerre qu’il a apportée au pays a été l’une des principales forces motrices du génocide, tout comme la crise interne des réfugiés rwandais de 1990-94 et les plus de deux millions de personnes qui ont fui le Rwanda en 1994, dont 1,5 million au Zaïre (aujourd’hui RD Congo).
La nuance et l'ambiguïté ignorées lors de ce procès, qui finit par imposer un apartheid aux victimes rwandaises, étaient ahurissantes car il n'y a eu aucune tentative d'aborder les faits historiques soulevés par le livre attaqué et corroborés par les 18 témoins d'Onana au cours du procès : les implications géopolitiques plus larges de la guerre (nous avons entendu au procès l'avocat congolais et ancien président de l'association des avocats du Tribunal pénal international pour le Rwanda, Hamuli Rety, expliquer comment les preuves testimoniales pointant vers ces implications géopolitiques plus larges ont été empêchées de venir témoigner à Arusha, et l'Accusation a même voulu appliquer le constat judiciaire à la caractérisation de la guerre comme une guerre non internationale) ; la préparation minutieuse de la guerre d’agression internationale par le FPR malgré les accords de paix d’Arusha (même le commandant de la force de la mission de maintien de la paix de l’ONU MINUAR de 1993 à 1994, Roméo Dallaire, a témoigné que la ville ougandaise de Mbarara avait des caches d’armes, qui auraient dû être vérifiées pour sécuriser la frontière entre l’Ouganda et le Rwanda, mais il a reçu l’ordre du Département des opérations de paix des Nations Unies de « laisser Mbarara tranquille[vii] ») ; les attaques terroristes du FPR menées après 1990 pour déstabiliser le Rwanda ; la guerre d’agression du FPR du 1er octobre 1990, qui est un crime contre l’humanité, mais n’a pas été dénoncée à l’époque aux Nations Unies ; les nombreux crimes contre l’humanité perpétrés par le FPR depuis l’invasion de 1990.
Survivre par la parole révèle d’innombrables atrocités contre les civils, y compris les femmes et les enfants, commises par le FPR depuis 1990 et après la prise du pouvoir en juillet 1994. Par exemple, le citoyen rwandais Charles écrit qu’à son retour d’exil au Congo, dans la région de Habyarimana, il a découvert que le FPR avait incendié leur maison tuant 24 membres de sa famille du côté maternel : « ils ont aussi tué la femme de mon oncle et six enfants, en utilisant une petite houe pour leur écraser la tête » (…) En 1998 et 1999, je me souviens comment le FPR venait dans notre quartier et tuait des gens. « (…) Ce que le FPR a fait est incroyable, mais certaines personnes disent que les survivants ne méritent pas la pitié. Que nos bien-aimés tués ne méritent pas qu’on les commémore. Je me sens réduit au silence pendant la commémoration du génocide. On m’a traité de tueur. Si je pleure, on dit que les larmes sont pour le sang versé par mes proches. Je me sens étouffé au Rwanda, mais j’apprécie que cela me donne un moyen de partager mes expériences avec le monde. » [viii]
Phineas Kwitonda témoigne de la façon dont les maisons des familles qui avaient fui en exil ont été occupées par celles qui revenaient de 30 ans d’exil. Le FPR a continué après juillet 1994 à commettre des massacres systématiques : « Pendant de nombreuses années après le génocide, d’innombrables personnes ont été convoquées à des réunions et ne sont jamais revenues. Nous avons fini par apprendre que le FPR tuait et massacrait systématiquement ces personnes. (…) C’est à ce moment-là que j’ai commencé à comprendre que le FPR n’était peut-être pas le sauveur qu’il prétendait être. » Kwitonda a souligné que « les procès gacaca sont devenus un outil de répression ou de calcul de points », car il a passé cinq ans en prison « pour avoir donné un témoignage que le gouvernement n’a pas apprécié, même s’il s’agissait de la vérité. » [ix]
Roger Rusesabagina, le fils de Paul Rusesabigina, héros du film Hôtel Rwanda, se souvient de la façon dont il n’a pas pu voir son père après son enlèvement en 2020 par les autorités rwandaises : on lui a refusé ses médicaments, un avocat de son choix et il a subi un traitement pénible en prison. Rusesabagina demande : « Cela me fait peur de penser que malgré sa célébrité, le gouvernement rwandais peut encore s’en tirer en le traitant de cette façon. Si cela lui arrive, qu’arrivera-t-il aux Rwandais ordinaires ? » [x]
Lors du procès d’Onana, le cas du chanteur de gospel Kizito Mihigo a été évoqué par des témoins. Mihigo a été emprisonné, torturé et finalement tué. En 2014, il avait écrit une chanson, The Meaning of Death (Le sens de la mort) dont les paroles appelaient à la reconnaissance de toutes les victimes du génocide rwandais : « Bien que le génocide m’ait rendu orphelin, qu’il ne me fasse pas perdre l’empathie pour les autres. Leurs vies ont également été brutalement ôtées, mais elles ne sont pas qualifiées de génocide. Ces frères et sœurs sont eux aussi des êtres humains. Je prie pour eux. Je les réconforte. Je me souviens d’eux… La mort n’est jamais bonne, que ce soit à cause du génocide, de la guerre ou des massacres par vengeance. » Mihigo est décédé en garde à vue en 2020.
Espérance Niyonsaba, dans son essai Je me demande pourquoi les victimes du génocide ne sont pas traitées de la même manière écrit sur la nécessité de parler malgré le fait que ses compatriotes lui ont dit de rester silencieuse pour que le pouvoir en place à Kigali ne la tue pas : « le régime du FPR n’aime pas que les gens racontent leurs histoires ». Elle écrit depuis l’exil : « Je ne peux pas me battre pour les droits des étrangers en laissant de côté ceux des Rwandais, mes concitoyens ». Elle décrit la fuite de sa famille : « tout le monde fuyait le FPR », tous les membres de la famille de sa mère ont été tués par les Interahamwe pendant le génocide, mais elle a découvert à son retour qu’à Kibungo « tous les Hutus qui y vivaient ont été tués par le FPR ». Espérance s'est vu refuser l'aide du fonds de soutien aux rescapés du génocide, probablement parce qu'elle était Hutu, et elle a donc caché son identité Hutu pendant longtemps. [xi]
Au procès d'Onana, nous avons également entendu le témoignage de Marie-Jeanne Rutahisire, une femme hutue, à qui on a refusé l'aide alors qu'elle était une rescapée du génocide dans le besoin.
Bien qu’en France des soldats français aient été traduits en justice pour complicité de génocide, tous les témoignages recueillis dans Survivre par la parole parlent en termes élogieux de l’opération humanitaire française Turquoise, qui était une zone de sécurité pour les Hutus, les Tutsis et les Twa. Patrick Rugaba raconte comment l’opération Turquoise lui a sauvé la vie ainsi qu’à sa famille. Descendant du royaume indépendant de Bwishaza, sa famille a été déplacée depuis 1896. Malgré la terrible perte qu’il a endurée, et en reconstituant l’histoire de sa famille, Rugaba se consacre aujourd’hui à la lutte pour toutes les formes de justice. En 1992, son père a été emprisonné pour avoir dénoncé la violence des Interahamwe, mais sous le régime du FPR, son père a été de nouveau emprisonné, cette fois pendant 19 ans. « Il a été battu et torturé et s’est retrouvé handicapé » pour « ne pas avoir voulu regarder en silence les gens se faire tuer ».[xii]
Le livre regorge de récits terrifiants de ce que beaucoup ont défini comme un génocide des Hutus perpétré par le FPR au Congo (alors Zaïre). « Le FPR dirigé par le président rwandais Paul Kagame a envahi le Congo et détruit les camps de réfugiés. Ils ont exterminé autant de réfugiés que possible. Cette fois, le FPR a perpétré un génocide contre le peuple Hutu. Le nettoyage ethnique a été mené en utilisant toutes les méthodes possibles, y compris les fusillades en masse, les meurtres à main armée, la famine, des gens brûler vifs, les viols en masse et l’enterrement vivant des gens dans une fosse commune », écrit Claude Gatebuke. [xiii] Augustin Nsabimana, qui a également publié un livre See you in heaven (à bientôt au paradis) raconte la fuite éprouvante à travers le Congo (alors Zaïre) et la désolation rencontrée dans les zones qui étaient tombées sous le contrôle du FPR : « nous avons continué sur ce chemin même s’il était occupé par le FPR. Nous avons marché pendant toute une semaine. Tout au long du chemin, nous n’avons rencontré que des cadavres. »[xiv]
Lino Bordin, ancien membre du HCR qui était sur place à l’époque, estime le nombre de Rwandais morts au Congo entre 1996-98 à 800 000 . [xv]
Même ceux qui ont combattu aux côtés du FPR ont raconté comment ils se sont rapidement éloignés du mouvement en raison de son bilan horrible en matière de droits de l’homme. Un témoin anonyme écrit : « Mais depuis les jours de Kabuga et les nouvelles atrocités commises par le FPR, je ne suis plus un sympathisant et je ne crois plus en lui en tant que force apte à diriger un pays. Leurs massacres systématiques de Hutus constituent également un génocide. » [xvi]
Au cours du procès, les témoins d’Onana nous ont dit qu’il n’existe pas aujourd’hui au Rwanda d’espace sûr pour commémorer librement les victimes. Dans Survivre par la parole Prudencienne Seward, survivante du génocide, a créé une organisation, PAX, en 1998 pour "commémorer tous les Rwandais de tous les groupes ethniques afin de favoriser une paix durable." Cependant, elle écrit : « le gouvernement du Rwanda a lancé un programme prétendant être un programme de réconciliation appelé ndi umunyarwanda, un programme de division fondé sur la stigmatisation ethnique du peuple Hutu. » Elle conclut : « même si j’ai survécu au génocide alors que certains membres de ma famille ont été tués par des Hutus extrémistes, le FPR a tué ceux qui sont restés après avoir pris le contrôle du pays. » [xvii]
Justin Pudor écrit dans l’introduction de son chapitre intitulé Good and Evil: How Africanists Present Hutus as Deserving of Death (Le bien et le mal : comment les Africanistes présentent les Hutus comme méritant la mort) comment certains apologistes pro-Kagame tels que Gerard Prunier, Michela Wrong, Thomas Turner entre autres, ont contribué à diviser les victimes du Rwanda en dignes et indignes : « Je montre les conséquences dévastatrices du cliché africaniste qui consiste à décrire l’ensemble de la population hutue comme « mauvaise » et le dictateur rwandais Paul Kagame comme « bon ». Pour ce faire, les Africanistes suppriment les contre-preuves, définissent les crimes de Kagame comme nécessaires face au mal, maximisent le nombre de Hutus impliqués dans le génocide, minimisent le nombre de personnes tuées par Kagame jusqu’à l’absurdité et sous-entendent qu’aucune solution politique négociée n’est possible avec des gens aussi mauvais. » [xviii]
Onana est qualifié de négationniste du génocide par les plaignants pour cette autre phrase des 16 incriminées : « Mais depuis vingt-cinq ans, de nombreux auteurs persistent à regarder la tragédie du Rwanda à travers les lunettes du « génocide » au lieu de s'intéresser à la conquête du pouvoir par la lutte armée déclenchée par le FPR dès 1990. C'est elle qui est non seulement la cause de l'horreur qu'a connue ce pays, mais c'est elle qui est aussi en partie la cause de l'exode massif des populations vers le Zaïre. » (page 411)
Pourtant, dans Survivre par la parole de nombreux témoins corroborent cette affirmation, à savoir que les Rwandais ont été poussés à l’exil par l’avancée de l’armée du FPR et non par le génocide, l’opération Turquoise ou l’ancien gouvernement intérimaire comme cela est souvent affirmé dans les récits conventionnels sur les événements. Par exemple, Cesarine écrit : « une chose qui est claire, c’est que les gens fuyaient la guerre, car il y avait des Hutus, des Twas et des Tutsis dans ces foules fuyant la guerre » (…) Presque immédiatement après notre arrivée à Gisenyi, le FPR a atteint la ville et a commencé à bombarder et nous avons été évacués vers le Congo » [xix]. Cela est également corroboré par un ancien membre du UNHCR travaillant dans la région.
La nouvelle loi française sur la négation du génocide, en imposant également un apartheid aux victimes, permettant ainsi aux plaignants d’incriminer un auteur pour avoir simplement inclus toutes les victimes rwandaises dans la reconstruction historique, impose un enfer sur terre aux Rwandais incapables de s’exprimer librement chez eux et à l’étranger. La loi française de 2017 sur la négation du génocide contribue à empêcher la vérité de faire surface. Une survivante, Yvette Umutoniwabo, écrit dans Survivre par la parole : « Je viens d’une famille mixte, composée à la fois de Hutus et de Tutsis, et en grandissant, je n’ai jamais su qu’il y avait une différence. (…) Nous avons perdu de nombreux membres de notre famille. Certains ont été tués par le FPR, et d’autres par les milices Interahamwe. C’était le chaos partout. » (…) Nous sommes finalement partis pour le Congo alors que le FPR s’était emparé de la majeure partie du pays et tuait les Hutus sur son passage. [xx] (…) Je ne veux pas que le passé se répète, ni que l’injustice actuelle perdure perpétuellement, je veux créer un endroit sûr où nous pourrons nous asseoir ensemble et reconstruire notre terre ensemble. Cela commence par raconter notre histoire. »[xxi]
Notes
[i] Ici, les plaignants ont en fait coupé en deux une phrase qu’ils avaient choisi d’incriminer pour négation du génocide. La phrase entière se lit comme suit : « Il faut dire que les rebelles ont profité de la vague d’émotion due à la réalité des massacres des Tutsis, des Twas et des Hutus, pour déveloper et diffuser leur propre campagne de presse sachant que très peu de gens seraient capables de comprendre ce qui se joue au Rwanda et de se poser des questions simples et objectives à cet effet. » (page 494).
[ii] De plus, cette phrase choisie par les plaignants est coupée en deux, le reste de la phrase se lit comme suit : « soit d'un manque de rigueur intellectuelle dans l’analyse des événements. » (p 79)
[iii] Les décisions de la Cour suprême ont créé une ambiguïté dangereuse: « Les révisions des lois de 2003 et 2008 ne comblent que partiellement les lacunes de la législation, et ont peut-être créé une base encore plus large pour des poursuites injustifiées. Le Rwanda se retrouve donc avec des lois qui ne sont pas conformes aux normes internationales auxquelles il a adhéré et qui n’offrent pas non plus la protection que sa propre Constitution accorde à la liberté d’expression. La situation est rendue plus complexe par une Cour suprême qui reconnaît que les lois sur la négation du génocide sont défectueuses, mais qui s’abstient de fournir des orientations complètes sur leur interprétation ou de déclarer les lois inconstitutionnelles. Il s’agit d’une situation propice aux abus, dans laquelle des poursuites injustifiées peuvent facilement avoir lieu. » cit. dans Yakaré-Oulé (Nani) Jansen, Denying Genocide or Denying Free Speech? A Case Study of the Application of Rwanda’s Genocide Denial Laws, 12 Nw. J. Int'l Hum. Rts. 191, 2014.
[iv] Survivre par la parole : + 100 Témoignages non censurés des survivants du génocide au Rwanda couvrant l’avant et l’après Génocide : des leçons inspirantes …résilience et l’humanité, Ribara Uwariraye, 2022. p. 182
[v] Justin Podur, America’s Wars on Democracy in Rwanda and the DR Congo, Palgrave Macmillan, 2020. p. 209
[vi] Les 5 phrases choisies par les plaignants dans le livre d’Onana qui soulignent le rôle central du changement de régime de 1994 dans l’histoire récente du Rwanda sont : « De même, tous ceux qui, dans les milieux universitaires et journalistiques ainsi qu’au TPIR, ne regardent, depuis plus de deux décennies, le conflit rwandais que sous l’angle d’un « génocide planifié », plaçant la planification tantôt sous le régime Habyarimana, tantôt sous le gouvernement intérimaire, quelque fois en 1959 ou à des dates plus ou moins vagues, le réduisent à sa stricte dimension ethnique, faussant ainsi la compréhension des faits. De toute manière, une telle approche constitue, du point de vue de l’histoire et des rapports sociopolitiques entre Hutus et Tutsis, une erreur grossière. » (page 412) ; «« Personne ne nie la réalité des millions de victimes tutsi, hutu et twa au Rwanda et au Zaïre, mais faire du « génocide » la principale source d'explication ou même l'unique tentative d'explication est une aberration sur le plan intellectuelle et scientifique. » (page 32) ; « Est-ce le « génocide » ou de la conquête du pouvoir par les armes, qu'est-ce qui est la cause des massacres de 1994 au Rwanda ? [...] Autrement dit, le « génocide » n'est pas le cœur du sujet et n'explique finalement rien. » (page 409) ; « Tout ce qui consiste à mettre le « génocide » et pas la conquête du pouvoir au centre de la recherche sème la confusion et entretient inutilement la polémique. » (page 125) ; « Mais, depuis vingt-cinq ans, de nombreux auteurs persistent à regarder la tragédie du Rwanda à travers les lunettes du « génocide » au lieu de s'intéresser à la conquête du pouvoir par la lutte armée déclenchée par le FPR dès 1990. C'est elle qui est non seulement la cause de l'horreur qu'a connue ce pays, mais c'est elle qui est aussi en partie la cause de l'exode massif des populations vers le Zaïre. » (page 411)
vii] Roméo Dallaire cit. dans Charles Onana, Rwanda, la vérité sur l'opération Turquoise, L'Artilleur, 2019. p 434
[viii] Survivre par la parole : + 100 Témoignages non censurés des survivants du génocide au Rwanda couvrant l’avant et l’après Génocide : des leçons inspirantes …résilience et l’humanité, Ribara Uwariraye, 2022. p.286-288
[ix] Op. cit. p.290-91
[x] Op. cit. 327
[xi] Op. cit. p. 131-134
[xii] Op. cit p. 15
[xiii] Op. cit. p. 184
[xiv] Op. cit. p.197
[xv] Entretien avec l'auteur 2024.
[xvi] Op. cit. p 97
[xvii] Survivre par la parole, p 76-80
[xviii] Justin Podur, America’s Wars on Democracy in Rwanda and the DR Congo, Palgrave Macmillan, 2020. p. 23 Palgrave Macmillan, 2020. p. 23
[xix] Survivre par la parole , p 40-44
[xx] Ici, le témoin corrobore, comme de nombreux autres témoignages dans ce livre, que les Rwandais ont été poussés à l'exil par l'avancée de l'armée du FPR et non par le génocide, l'opération Turquoise ou l'ancien gouvernement intérimaire. Ceci est également corroboré par un ancien membre du personnel du HCR travaillant qui était dans la région à l'époque et qui souligne que le FPR avait chassé les gens du Rwanda et que la plupart avaient fui par crainte de leurs massacres.
[xxi] Survivre par la parole, Ribara Uwariraye, 2022. p.52-53
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