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Writer's pictureNicoletta Fagiolo

Charles Onana, lanceur d'alerte des crimes contre l'humanité




Passons maintenant à une autre phrase parmi les 16 que six ONG, agissant en tant que plaignants, ont choisies à Paris pour attaquer Charles Onana et son éditeur Damien Serieyx comme négationnistes du génocide.


Les autres articles de cette série peuvent être trouvés ici


Le constat judiciaire pour génocide, un manquement aux procédures régulières ?


Phrase 4 : « Lorsque le procureur [du Tribunal pénal international pour le Rwanda, TPIR] a éprouvé des difficultés à apporter des preuves de la planification du génocide, il a préféré recourir à l’artifice du « constat judiciaire » plutôt que de mettre des preuves sur la table. » (page 195  Rwanda, la vérité sur l'opération Turquoise, 2019)


Lors du procès, les avocats des plaignants ont brandi l’adoption du constat judiciaire du génocide des Tutsi au tribunal d’Arusha comme une preuve évidente de l’intention et de la planification préalable d’un génocide contre les Tutsis.


Lorsqu'un fait est constaté d'office, cela signifie que ce fait ne peut plus être contesté devant les tribunaux.  Pourtant, le constat judiciaire du génocide, en tant qu’instrument juridique valide et légitime, ne fait pas l’unanimité.


Cette décision controversée, prise en 2006 au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), a également été contestée au sein même du TPIR, les juges refusant de l'adopter. Onana cite quelques exemples et le raisonnement juridique qui sous-tend le refus.


Maître de conférences en sciences politiques, philosophie politique et histoire de Institut catholique de Vendée,  et directeur du Forum pour la démocratie internationale, John Laughland dans son livre de 2016, A History of Political Trials: From Charles I to Charles Taylor, aborde cette question dans le chapitre Jean Kambanda, condamné sans procès : Laughland qualifie l'adoption d'un constat judiciaire pour génocide une présomption structurelle de culpabilité : « La décision sentait le désespoir », écrit-il, citant le communiqué de presse du TPIR de 2006 : « C'est l'un des arrêts les plus significatifs du Tribunal, étant donné les conséquences en termes de placer la survenance du génocide au-delà du litige juridique. On peut rappeler que jusqu'à présent, le Bureau du Procureur devait dans chaque cas présenter des preuves et prouver la survenance du génocide. Cela ne sera plus nécessaire. De l’avis du Bureau du Procureur, la décision devrait désormais faire taire le camp des « rejetistes » qui conteste l’existence du génocide. En soulageant le Bureau du Procureur d'une lourde charge de la preuve, la décision pourrait potentiellement raccourcir les procès, car chacun d'entre eux se concentrera essentiellement sur l'implication personnelle de l'accusé dans le génocide. » (c'est moi qui souligne)


Laughland arrive à la même conclusion qu’Onana : « Peut-être était-ce une indication que l’accusation avait précisément du mal à prouver ses affirmations initiales. » [i]


B.C.L./LL.B. Faculté de droit et chercheur au Centre sur les droits de la personne et le pluralisme juridique de Université McGill Kirk G. Shannon dans un article de 2006 Passing the Poisoned Calice: Judicial Notice of Genocide by the TPIR,pour la Revue Québécoise de droit international, considère même le constat judiciaire, lorsqu’il est appliqué au génocide, comme une violation des procédures régulières.[ii] Shannon affirme :  Habituellement, les faits qui ont directement trait à des questions de droit ou les éléments du crime dont le défendeur est accusé sont exclus de ce mécanisme procédural. Parce que le génocide est une conclusion juridique, l’auteur propose que le constat judiciaire de génocide va à l’encontre des droits procéduraux de l’accusé en empêchant la défense de contester la définition de cette conclusion juridique. »


Il ajoute : « Cependant, même si le terme « génocide » est une qualification appropriée dans un contexte extra-judiciaire, l'utilisation du terme dans un cadre juridique a des implications plus graves sur la liberté de l'accusé. Plutôt qu’un simple descripteur d’une situation factuelle, le génocide est un crime au regard du droit international et fait donc l’objet d’une conclusion juridique. Ainsi, alors que la communauté non juridique peut décrire les atrocités commises au Rwanda comme faisant partie d’un génocide, dans le domaine juridique, une partie affirmant l’existence d’une telle qualification devrait être tenue de convaincre le tribunal que les critères requis pour le crime sont remplis. »  (à noter que ici l’auteur met aussi le mot génocide entre guillemet pour souligner qu’il s’agit du terme, par compte au procès à Paris c’était l’un des accusations des plaintifs contre Onana, car le mot est mis entre guillemet des fois dans son text c’est du négationnisme)


Onana a écrit en 2005 une enquête de 480 pages sur le TPIR basé à Arusha, Les secrets de la justice internationale, révélant de graves lacunes de l'institution ; il s'était également entretenu à l'époque avec l'ancienne procureure du TPIR, Carla Del Ponte, qui lui avait dit qu'elle avait été contrainte de quitter son poste par l'ancien ambassadeur des États-Unis pour les questions de crimes de guerre sous George W. Bush, Pierre-Rich Prosper. Prosper était à l'époque procureur adjoint, employé au TPIR depuis mai 1996 au sein du bureau du procureur. Il a également été procureur principal et procureur contre Jean-Paul Akayesu, le tout premier cas de génocide en vertu de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.


Del Ponte a souligné la pression politique venant des États-Unis via Pierre-Rich Prosper en raison de son intention de poursuivre les crimes du FPR et de collaborer également à l'enquête Bruguière en France (enquête sur les membres du FPR pour le crime de l'assassinat de deux Présidents africains le 6 avril 1994). Carla Del Ponte détaillera plus tard cette intrusion politique dans ses mémoires.


Témoin d'Arusha


L'avocat congolais et ancien président de l'association des avocats du Tribunal pénal international pour le Rwanda, Hamuli Rety, est venu témoigner en faveur d'Onana au procès et a donné un aperçu du déroulement des procès d'Arusha.


L'avocat Rety a corroboré lors du procès la révocation de la procureure du TPIR, Carla Del Ponte, pour des raisons politiques.


Rety a également corroboré que le Tribunal avait eu des difficultés à fournir des preuves solides démontrant que le génocide avait été planifié.


Il a évoqué les limites globales du TPIR : les équipes de défense disposaient souvent de peu de moyens par rapport au procureur ; il y avaient beaucoup de faux témoignages à Arusha, souvent ces témoins étaient prisonniers au Rwanda ; des personnes innocentes ont été arrêtées.


Rety se souvient que depuis qu'Onana enquêtait pour son livre à paraître en 2005 Les secrets de la justice internationale, il était admiré à Arusha pour avoir déterré des documents d'archives et interrogé des témoins. Rety se souvient : « Tous les accusés voulaient Onana comme témoin expert, mais il a refusé. Onana m'a cependant mis en contact avec un descendant de la famille royale, Antoine Nyetera, dont la famille a été tuée lors du génocide. Rety rappelle le témoignage de Nyetera à Arusha : « Je suis de lignée royale Tutsi et je défendrai toujours les Batutsi quelle que soit la situation, mais j'aimerais que le monde sache, qu'il réalise qu'il y a eu des mensonges, je veux que la communauté internationale fasse la différence entre les Tutsis et le FPR.  Dire que les barrières ont été érigées pour tuer les Tutsis est un mensonge. Ma maison était à 40 mètres de l'une et une deuxième à 400 mètres de moi. Les barrières ont été mises en place pour surveiller les gens qui entraient dans le quartier, qui n'étaient pas du secteur, de notre quartier, parce que le FPR infiltrait le quartier. Nyetera affirme s'être posté dans l'une de ces barrières pour défendre et surveiller son quartier. Il a souligné que les barrières situées près de sa maison étaient destinées à assurer la sécurité contre les infiltrés du FPR et non à tuer les Tutsis. La preuve en est que lui, reconnaissable comme Tutsi par sa morphologie, car de grande taille, montait à son tour la garde à ces barrières, sans avoir eu de problème. »


Ce détail montre la complexité de ce qui s'est passé et la nécessité de rester ouvert aux nuances lors de l'enregistrement de l'histoire : dans ce cas, il ne faut pas tenir pour acquis que tous les barrages routiers établis au Rwanda après la décapitation du gouvernement du pays le 6 avril 1994 étaient automatiquement des zones où des massacres criminels ont eu lieu.


Réty a brièvement évoqué le cas de Jean Kambanda, Premier ministre sous le gouvernement intérimaire mis en place le 9 avril 1994. Quiconque ayant quelques connaissances sur cette affaire doit admettre que les aveux ont été obtenus via une parodie de justice, ce que Rety a corroboré à Paris au tribunal.


« Kambanda a immédiatement fait appel de ses aveux et a admis qu'il avait plaidé coupable sous la contrainte », se souvient Rety.


Les récits sur ce procès abondent. Par exemple, le journaliste Thierry Cruvellier, qui a suivi de près les procès d'Arusha, auteur du livre de 2006 Le tribunal des vaincus: un Nuremberg pour le Rwanda? écrit à propos de cette affaire : « Pendant neuf longs mois, d'août 1997 à avril 1998, Kambanda a passé la plupart de son temps dans un lieu secret à Dodoma à 300 milles au sud d'Arusha. » Il a été interrogé pendant des heures par des enquêteurs canadiens douteux.[iii] En échange de sa collaboration, il voulait avoir la garantie que sa famille serait protégée. Il n’a pas non plus eu le choix de son avocat et a finalement « cédé à la décision de licencier son avocat belge ». L'avocat finalement imposé était Michael Inglis, un ami proche du procureur adjoint Bernard Muna.


Muna a par la suite caché le discours écrit de Jean Kambanda aux juges. L’accusation a admis seulement deux ans plus tard qu’elle n’avait pas transmis le document aux juges, « parce qu’il contredisait les aveux et les rendait sans équivoque ». Cruvellier ajoute : « Dans les jours qui ont suivi la condamnation de Kambanda à la prison à vie en 1998, les quelques membres de l'équipe de poursuite qui avaient travaillé directement sur l'affaire ont volontiers admis leur malaise face à la manière dont l'affaire avait été traitée, révélé un mélange d’embarras, de honte, de colère et de sarcasme, sans parler d’une profonde vexation morale après avoir lu les documents que Kambanda avait écrits pendant sa détention. »[iv]


Professeur canadien des droits de la personne à l'Université du Québec à (UQAM) Montréal, Alain Tremblay, qui a travaillé comme avocat de la défense au TPIR parle d'une « aberration » : « le traitement qui a été réservé à Jean Kambanda n'a pas respecté les règles élémentaires de droit. »[v]


Rety a également déploré les conditions des Hutus qui ont été acquittés ou qui ont purgé leur peine de prison. Il a évoqué le sort des nombreux acquittés qui n'ont jamais été réhabilités et sont toujours considérés comme des génocidaires par des ONG comme Ibuka, l'un des plaignants présents dans la salle d'audience. Certains ont été acquittés après 10 à 12 ans de prison et de procédures judiciaires. L’érosion la plus évidente des droits des accusés était peut-être la durée des procès.


Selon les mots de Rety : « De nombreuses personnes jugées par le TPIR ont été acquittées. Et beaucoup n’ont pas de pays d’accueil. La France refuse notamment de leur accorder une protection sous prétexte qu'ils avaient été accusés de génocide selon la Convention de Genève. À ce jour, ces personnes sont bloquées à Arusha où elles ont été jugées et acquittées. Pourtant, le gouvernement français refuse de leur accorder l'asile même lorsque leurs familles sont basées en France. Pour quelle raison ? Ils sont soupçonnés d'être considérés comme des génocidaires même si le TPIR les a disculpés. Voici ce que dit la France pour justifier sa décision : « Nous sommes gênés de les prendre car cela nous mettrait en porte-à-faux avec le gouvernement rwandais. » Sur la base d'une liste, la liste du gouvernement rwandais, une liste que nous appelons la sur la liste des génocidaires, des gens sont régulièrement accusés. Aujourd'hui ces prévenus vivent encore dans des refuges et cela fait plus de 20 ans que certains sont à Arusha. Et certains de ces gens figurent dans la fameuse liste du FPR, encore aujourd'hui comme planificateurs du génocide. « Ils sont tous devenus comme des titulaires d'un doctorat en droit, beaucoup passant plus de deux décennies en prison », a déclaré Rety à un groupe de journalistes lors d'une pause dans la salle des audiences, interrogé sur les affaires acquittées d'Arusha.


Rety a également expliqué que la Chambre d'appel a approuvé le constat judiciaire de nombreuses caractérisations juridiques : non seulement le fait que des attaques généralisées et systématiques contre une population civile fondées sur l'identification ethnique tutsie ont eu lieu pendant cette période, mais aussi le fait qu'il y avait un conflit armé d'une origine non international au Rwanda entre le 1er janvier 1994 et le 17 juillet 1994. Selon ses mots : « Quand nous avons voulu inviter des experts qui pouvaient éclairer le jury sur le contexte international de la guerre, le contexte géopolitique, ces témoins ont été empêchés de venir à Arusha pour témoigner. »


L'avocat Réty a évoqué le rôle de lanceur d'alerte qu'Onana joue depuis longtemps et sa dénonciation depuis des décennies du génocide dans l'est du Congo contre la population réfugiée hutue et contre les civils congolais depuis 1996. En cas de condamnation française, il estime que l'affaire devrait être portée devant le niveau européen, qui dispose de mécanismes juridiques protégeant les lanceurs d'alerte, ceux qui alertent sur de graves violations des droits de l'homme.  Selon les mots de Rety : « Il doit être protégé pour sa quête de vérités historiques et pour sa lutte contre les massacres commis par le régime de Kagame dans l’est du Congo, un fait qui devient aujourd’hui de plus en plus indéniable. Il devrait être libre de dénoncer les crimes de Kagame sans craindre de représailles. »


Rety milite depuis 1996 pour la création d’un tribunal pour les crimes contre les droits de l’homme commis dans l’est du Congo. Il considère le rôle d’Onana comme un lanceur d’alerte dans la mesure où il a révélé les méthodes de guerre, de conquête et de changement de régime : « Tout comme au Rwanda, le caractère international de la guerre congolaise qui dure depuis près de 30 ans est obscurci. »


Rety donne plus de détails sur la procédure du TPIR : « Il était très difficile de défendre ses clients au TPIR, car il y avait trop d'ingérence des Etats-Unis, ainsi que des Nations Unies. Depuis le début de l'engagement judiciaire, nous avons essayé de prouver qu'après la première attaque du FPR en octobre 1990, et sa défaite, l'administration de Bill Clinton a organisé des séminaires militaires dont Kagame a également bénéficié. Mais lorsque j'ai invité un expert qui devait venir au procès et expliquer les détails de cette formation dispensée, les différents cours qu'elle couvrait, parmi lesquels une formation à l'utilisation du même missile qui a abattu l'avion le 6 avril 1994 qui a tué deux présidents, ce journaliste américain allait venir témoigner mais cela a été refusé. La justification donnée était que la Cour traitait d'un conflit national et non d'un conflit international. Un autre journaliste Wayne Madson (journaliste d'investigation à Washington DC spécialisé dans les questions de sécurité nationale et de renseignement, auteur du livre de 1999 Genocide and Covert Operations in Africa, 1993-1999 N/A) qui voulait aborder devant les tribunaux l'implication et le rôle de l'Ouganda ou des États-Unis d'Amérique, ce qui aurait corroboré la nécessité de parler légalement d'un conflit international, s'est également vu refuser la possibilité de témoigner au tribunal. »


Arusha semblait être un constat judiciaire sous stéroïdes. « Le constat d'office a été utilisé dans chaque procès », se souvient Rety, « pour le procès Militaire I, le procureur a dressé une liste de plus de 45 faits qu'il voulait admettre comme constat judiciaire. Il s'agissait de procès politiques, de nombreuses ingérences venaient de la part des autorités du gouvernement américain. L'ambassadeur américain pour les crimes de guerre venait rencontrer les juges. Carla del Ponte a été écartée pour des raisons politiques. Notre rôle en tant qu'avocats était de travailler dans le cadre de ces terribles contraintes et de lutter légalement pour les droits de nos clients. »


La loi française ne répond pas aux critiques des procédures judiciaires


L'un des témoignages des plaignants, maître de conférences en droit public à l'Université de Reims Champagne-Ardenne Thomas Hochmann, qui a beaucoup travaillé sur la liberté d'expression, et notamment sur la négation du génocide et de la Shoah, à laquelle il a consacré sa thèse de doctorat de 2013 Le négationnisme face aux limites de la liberté d'expression, a soutenu qu'Onana était un négationniste du génocide parce qu'il parlait également d'autres victimes, au-delà des Tutsi, qui ont succombé pendant la tragédie des 100 jours. Il affirme également que « le plan concerté étant un élément du génocide, le nier revient à nier le génocide ».


Mais Hochmann a également souligné que la loi française ne punit que si les propos tenus par un négationniste présumé du génocide peuvent effectivement causer un préjudice : « C'est une question importante puisque, justement, la Constitution ne permet de restreindre la liberté d'expression que pour des discours dangereux, ceux qui sont considérées comme risquant de porter atteinte à l’ordre public ou aux droits des tiers. » Hochmann poursuit : « Le discours négationniste n’est pas une simple opinion. C'est un discours dangereux. Mais il me semble risqué de considérer, de manière aussi générale et abstraite, que toutes les expressions sont suffisamment préjudiciables. Considérant par exemple que le massacre de Srebrenica est un crime contre l’humanité plutôt qu’un génocide, comme l’a jugé le TPIY, ce discours est-il nécessairement dangereux et mérite-t-il d’être condamné ? "


"L'avocate des plaignants d'Ibuka-France, Rachel Lindon, a demandé à Thomas Hochman de préciser si le TPIR a prononcé des condamnations pour un plan concerté de génocide. Hochmann a répondu que dans certains cas, des personnes au TPIR ont également été condamnées pour intention de commettre un génocide et que dans d'autres cas, elles ont été acquittées, mais avant cela, il a ajouté :  « Un point me semble essentiel : le contenu exact des décisions du TPIR n'est pas l'enjeu de ce procès. L'article 24 bis exige simplement que le génocide ait été condamné par une juridiction française ou internationale. Il ne fait pas référence au contenu exact de tel ou tel jugement. Elle n'interdit pas de contester le contenu précis d'une décision de justice. Il en va de même pour la Shoah : si le premier alinéa de l'article 24 bis mentionne le statut du tribunal de Nuremberg, il n'a pas pour vocation d'interdire de contester les décisions prononcées par ce tribunal. (…). Il est donc important de comprendre que la loi contre la négation de la Shoah ne « colle » pas au contenu des décisions de justice relatives aux crimes visés. » (c'est moi qui souligne)


Ainsi, selon l'expert en droit négationniste Hochmann, la nouvelle loi française de 2017 n'interdit pas à un écrivain de critiquer une procédure judiciaire spécifique : ainsi, la phrase ici examinée, qui est un commentaire sur l'utilisation du constat judiciaire pour le génocide au tribunal d’Arusha, également à la lumière de l'enquête déchirante menée par Onana en 2005 sur la procédure judiciaire devant le TPIR et au témoin qui as corroboré les lacunes du TPIR , ne doit en aucun cas être considérée comme une forme de négation du génocide, d'autant plus que de telles critiques ne sont pas couvertes légalement par cette loi spécifique sur la liberté de presse.


Un document récemment publié confirme un génocide sans cerveaux


Docteur en histoire africaine de l'Université de Paris, Florent Piton, l'un des six témoins du plaignant, qui a écrit un livre sur le génocide rwandais, a parlé au procès d'une réunion de décembre 1991 comme preuve que le génocide avait été planifié longtemps à l'avance par le Gouvernement Habyarimana.


Ironiquement, le document mentionné par Piton au procès n’a été publié dans son intégralité que ce mois-ci, en novembre 2024, soit 33 ans plus tard. Le journaliste Thierry Cruvellier écrit dans Justice Info qui publie le rapport prétendument à l'origine du complot génocidaire au Rwanda : « Dans le cadre de ses travaux sur les procès du TPIR, Justice Info a obtenu une copie de ce rapport que l'on croyait disparu. (…) A l'occasion du 30e anniversaire de la création du TPIR, le 8 novembre 1994, nous plaçons aujourd’hui une copie dans le domaine public. Chacun pourra désormais procéder à une analyse plus complète et contextualisée de ce document qui devait forger, aux yeux du procureur du TPIR, le récit de la planification du génocide des Tutsis. Avant que les juges ne lui disent que ce n'était pas si simple. ».


Cruvellier ajoute: « En novembre 1994, le procureur Chili Eboe-Osuji a défini le rapport de la Commission de 1991 comme l'acte de naissance du projet génocidaire. Avant lui, les juges du premier procès du TPIR, contre un ancien maire, Jean-Paul Akayesu, ont fait référence à cet extrait pour démontrer une intention génocidaire. »  


Déjà dans Le tribunal des vaincus: un Nuremberg pour le Rwanda?  Cruvellier avait déjà souligné le peu de valeur probante du document de la réunion de 1991 sur un aspect essentiel. Il souligne  : « Les juges savaient également, en 2008, que trois ou quatre des membres de cette commission figuraient parmi les rares officiers supérieurs réputés des FAR ( l’armée nationale Rwandaise)  qui s'étaient opposés au génocide de 1994. Même si aucun témoignage n'avait jamais été recueilli d'eux dans un contexte précis et publiquement par le parquet du TPIR. »


Cruvellier donne de nombreux détails dans son livre Le tribunal des vaincus: un Nuremberg pour le Rwanda? sur la plupart des membres de cette réunion de 1991.[v] Piton n'aurait-il pas dû prendre ces faits importants en considération lors du procès ?


« Pour le procureur, l'affaire était claire : cet extrait était « une étape vers une association de malfaiteurs ». Les juges ont en revanche rejeté une telle interprétation. Ils étaient davantage préoccupés par le contexte dans lequel les événements se sont produits. Premièrement, ils ont noté que la définition de l’ennemi est une pratique courante dans l’armée, au Rwanda et ailleurs. Par conséquent, « la commission n'était pas en soi inhabituelle ou illégitime, compte tenu notamment du fait qu'il y avait des hostilités sur le territoire rwandais depuis l'invasion du FPR le 1er octobre 1990.  Lue dans son contexte, la Chambre n'est pas d'accord avec l'Accusation selon laquelle la définition implique que tous les Tutsis sont des extrémistes désireux de reprendre le pouvoir, ont écrit les juges. Le contenu peut donc être dérangeant, mais il ne démontre pas une intention criminelle, » écrit Cruvellier.


Théoneste Bagosora, présente lors de la réunion de 1991, était considéré comme le cerveau derrière la planification du génocide, Cruvellier écrit à propos de l'affaire : « Le 14 décembre 2011, la Chambre d'appel du TPIR a réduit la responsabilité factuelle du colonel Bagosora dans le génocide à un minimum, et sa peine à perpétuité à 35 ans. Après dix-sept ans d’enquêtes et de procès, le TPIR se retrouve sans cerveau derrière le génocide. Après avoir entendu 242 témoins, admis quelque 1 600 pièces à conviction, produit 30 000 pages de transcriptions et reçu 4 500 pages de plaidoiries finales des parties, les juges de première instance ont rédigé une décision qui remettait profondément en question le génocide au Rwanda en tant que crime soigneusement orchestré. L’avertissement de Bagosora publié en 1992 selon lequel il allait « préparer l’apocalypse » provenait de deux témoins très suspects qui se contredisaient ; Bagosora et d’autres avaient joué un rôle dans la création, l’armement et l’entraînement de milices civiles, mais les juges n’ont pas pu conclure  que « ces efforts visaient à tuer des civils tutsis dans l’intention de commettre un génocide»; l'organisation de la défense civile était insuffisante pour prétendre au complot ; la préparation de listes ciblant les Tutsis et les membres de l'opposition politique « n'a pas montré que le but de ces listes était d'identifier les Tutsis, en tant que tels, et de les éliminer » ; il existait des « preuves considérables » de l’activité des escadrons de la mort au Rwanda avant avril 1994 et plusieurs sources affirment que Bagosora en faisait partie, mais les preuves étaient indirectes, de seconde main, ne prouvaient rien en termes juridiques et ne « signifiaient pas que [ils préparaient] un génocide. (…)  « Il n’y avait aucune preuve crédible et fiable de la participation directe de Bagosora, ont écrit les juges du procès. » (…) « Le poste de chef d'état-major était le plus élevé après celui de ministre au sein du ministère rwandais de la Défense », ont indiqué les juges. « Il remplacerait le ministre en son absence. Cela s’est produit en avril 1994, alors qu’Augustin Bizimana, le ministre de la Défense, était en mission officielle au Cameroun. » Durant les trois jours d'absence du ministre, du 6 au 9 avril, Bagosora a exercé son autorité. Après le 9 avril, le ministre de la Défense est rentré au pays et tous les crimes prétendument commis par Bagosora après le 9 avril ont disparu, sans exception. Mais le colonel avait néanmoins été reconnu coupable.


Bagosora a été acquitté du crime d'intention de commettre un génocide, ce qui a incité Cruvellier à qualifier le génocide rwandais de génocide sans cerveaux.[vi] Écrivant sur ce procès, il ajoute : « il semblerait presque impossible de comprendre quel est le récit du génocide qui a eu lieu ressortent du procès le plus important du TPIR. »


Cette récente publication d’archives est une autre raison pour laquelle la loi française sur la presse négationniste du génocide des Tutsis de 2017, qui met un voile sur ce qui peut et ne peut pas être dit sur la tragédie rwandaise, en imposant des peines de prison et des amendes, est préjudiciable à la recherche historique. Dans ce cas, les preuves de la planification préalable du génocide sont brisées par la publication de l'intégralité du document d'archives : à la lecture, l'ennemi est clairement identifié comme étant ceux qui ont pris les armes contre le pays, et non la population tutsie en soi.


Hochmann a édité une étude approfondie de Ludovic Hennebel, Genocide Denials and the Law, sur les différentes questions juridiques qu'elle soulève, présentant des arguments à la fois pour et contre l'interdiction de cette expression. On se demande ce que pense Hochmann de l’objet de la nouvelle loi française de 2017, alors qu’un des documents d’archives centrales n’a été rendu public qu’aujourd’hui, 30 ans plus tard, et révèle une valeur probante nulle, brisant ainsi l’un des piliers de la preuve utilisé à Arusha pour prouver l'intention de commettre un génocide de la part du gouvernement intérimaire rwandais. L’histoire devrait-elle le reconnaître ? Discuter de ses conséquences devrait-il être considéré comme un déni du génocide ? et pourra-t-on en discuter librement en France aujourd'hui ?




Notes


[i]  John Laughland, A History of Political Trials: From Charles I to Charles Taylor, Peter Lang Oxford, UK, 2008. 

p 213 

 

 

[iii] Charles Onana, Les secrets de la justice international, éditions Duboiris, 2006.

 

[iv] Thierry Cruvellier, Court of Remorse originally published in 2006 as Le tribunal des vaincus: un Nuremberg pour le Rwanda? Calmann-Levy. p 38-48

 

 

[v] Patrick Mbeko, Malheur aux vaincus 1994-2024, éditions Duboiris, 2024. p 337

 

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